Après la réception tonitruante pour son premier film Les Misérables (Grand Prix à Cannes 2019), Ladj Ly revient avec Bâtiment 5 (ou « Les Indésirables » pour le titre international nettement plus adéquat). Moins coup-de-poing que sa première réalisation, cette suite spirituelle continue d’explorer les fractures sociales hexagonale, dans un nouveau portrait politique plus personnel !
4 Césars et un Grand Prix du Festival de Cannes : c’était l’accueil triomphal réservé à Les Misérables en 2019. Dans ce tout premier long-métrage, Ladj Ly usait de son propre vécu pour dresser le portrait d’une banlieue parisienne au bord du précipice et du point de non-retour face à une violence en circuit fermé. Un métrage maîtrisé et faisant preuve d’une jolie maturité en terme d’écriture, flirtant par instants avec le film de genre.
C’est donc avec intérêt que le nouveau film issu du collectif Kourtrajmé (on pense également à Athena sorti l’an dernier) s’est dévoilé au Festival de Toronto. Avec Bâtiment 5, Ladj Ly poursuit son exploration des fractures sociales hexagonales par une approche plus personnelle.
Bâtiment 5 nous emmène donc dans la commune de Montivilliers : nous découvrons Haby Keita (Anta Diaw), jeune femme d’origine malienne et militante pour le droit au logement. Lorsque le maire de la ville décède soudainement, c’est le médecin idéaliste Pierre Forges (Alexis Manenti) qui est rapidement élu pour le remplacer.
Alors que le réaménagement de la cité prévoit la destruction du bâtiment 5 (où Haby et plusieurs familles vivent), la jeune femme décide à son tour d’entrer en politique dans le but d’éviter l’expulsion de cette bâtisse délabrée. La tension va rapidement monter, jusqu’à des proportions dramatiques.
Un Bâtiment 5 aux fondations fragiles
Et à l’instar des Misérables, Bâtiment 5 arrive avec brio à montrer cet équilibre ténu, ou plutôt ce déséquilibre sans tomber dans le manichéen. En effet, Haby et Pierre représentent ainsi 2 faces d’une même pièce, tentant d’œuvrer pour la ville et de faire ce qui est juste. D’un côté un personnage issu d’un milieu aisé, habitant les beaux quartiers ; de l’autre une femme au contact avec la pauvreté et la plèbe.
Dès lors, Bâtiment 5 parvient dans sa première heure à se positionner dans la droite lignée de son prédécesseur, en nous immergeant dans ce microcosme tiraillé par les deux extrêmes. Fait appréciable, le métrage ne nous donne pas de vision clairement binaire (du moins durant une grande partie du récit !).
Pierre semble être un monsieur-tout-le-monde propulsé dans un nouveau monde, découvrant la vie à l’extérieur de sa zone de confort. La vision idyllique devient ainsi plus effritée, lorsque Pierre constate les problèmes de délinquances, d’insécurité et surtout d’inconfort de la banlieue. Lorsqu’un incendie se déclare dans le fameux Bâtiment 5, du fait de restaurants créés clandestinement, l’aubaine de déloger les habitants dans un but de rénovation trouve ainsi son sens.
Cinéma du quotidien
Une aubaine qui cependant n’est pas partagée par Haby, elle-même au contact quotidiennement avec le cœur battant de cette cité, et bien au fait des problématiques de logement ou de pauvreté qui y sont liées. Un jeu de point de vue bien tenus, servis par une mise en scène faisant parfois preuve de quelques saillies immersives, comme cette très bonne séquence d’exode où des familles entières doivent quitter leur vie en quelques minutes.
Néanmoins, après avoir exposé avec un œil averti et érudit les diverses problématiques hautement pertinentes de son film, Ladj Ly semble avoir du mal à amorcer sa conclusion, ou même à proposer une trajectoire plus inspirée pour ces protagonistes. Voulant aller vers les plates-bandes des Misérables, Bâtiment 5 introduit le personnage de Blaz : ami de Haby, désespéré et furieux, les actions de ce dernier mèneront le film vers une tournure plus brute et frontale.
Un procédé déjà employé dans son précédent film, mais qui semble être en trop, à l’image de ce climax certes prenant, mais amenuisant toute la thèse politique finement appliquée jusqu’alors par Ladj Ly. Une manière de conclure par une vision beaucoup plus simpliste donc. C’est bien dommage, mais n’enlève pas la profession de ce Bâtiment 5, certes moins coup-de-poing et frondeur que son prédécesseur, mais pertinent et incarné.
Si la manière de filmer la tour et les décors de son enfance apportent déjà à Bâtiment 5, c’est le jeu d’un Alexis Manenti à contre-emploi qui portent vraiment le film, tout comme la révélation qu’est Anta Diaw dans son premier rôle d’envergure. Si la démonstration ne tient pas forcément jusqu’à la fin, cette seconde incursion de Ladj Ly a néanmoins du coffre : pas mal !
Bâtiment 5 sortira au cinéma le 6 décembre 2023
avis
Bâtiment 5 est un joli retour de Ladj Ly, continuant d'user de son vécu pour explorer les fractures sociales par le prisme humain, sans pointer du doigt de coupable. Une démonstration pas si éloignée d'un David Simon (The Wire) même si la profession de foi trouve ici ses limites dans un dernier segment beaucoup trop schématique pour pleinement convaincre. Pas mal néanmoins, notamment via sa direction d'acteurs !