Bac Nord débarque enfin dans les bacs (facile!). Initialement prévu pour Noël 2020, la situation sanitaire lui a permis de passer en Hors Compétition à Cannes, puis dans les salles de cinéma. Nouveau film de Cédric Jimenez (La French, HHhH), Bac Nord s’inspire de l’histoire vraie concernant les méthodes peu orthodoxes de la police marseillaise pour lutter contre la criminalité. En résulte un polar comme on en a pas vu depuis longtemps dans notre beau pays, mais également des débats sur les idéologies politico-sociales qu’il semble véhiculer.
En une poignée de films, Cédric Jimenez ce sera rapidement imposé comme un des réalisateurs français les plus prometteurs de sa génération. Que ce soit avec La French ou HHhH, le cinéaste marseillais arrivait à digérer ses influences (en particulier le cinéma américain des 70’s) tout en affirmant sa propre patte. Une identité profondément française que l’on retrouve naturellement dans ce nouveau projet ! Bac Nord nous ramène en 2012, au sein de la cité phocéenne et au plus près de 3 policiers de la brigade anti-criminalité. Inspiré de faits réels, tout en prenant des distances en tant qu’œuvre de fiction, Bac Nord nous menotte à bras le corps dans les coins chauds de la banlieue marseillaise.
Alors que les quartiers nords affichent parmi les taux de criminalité les plus élevés qui soient, nos 3 protagonistes (incarnés avec excellence par Gilles Lellouche, François Civil et Karim Leklou) vont franchir la ligne jaune, en usant de la vente de drogues et de manières plus ou moins musclées pour parvenir à boucler l’affaire. L’occasion donc de suivre notre trio de flics dans leur quotidien, leurs doutes, leurs colères, à mesure que l’étau se resserre !
Bac Nord doit notamment sa réussite par son casting absolument impeccable. Souvent connu pour ses rôles comiques, Gilles Lellouche impressionne en tant que leader entièrement dévoué à sa profession. Imposant son charisme et une vraie physicalité à l’écran, on avait pas vu l’acteur aussi bon (peut-être que son passage derrière la caméra pour Le Grand Bain a encore plus affuté son jeu). Quand à François Civil (arborant en plus l’accent de Marcel Pagnol et une coupe de cheveux à la Nekfeu) en tête brûlée juvénile au grand cœur, ce dernier prouve qu’après Mon Inconnue, Le Chant du Loup ou bien Deux Moi, il est bien un des meilleurs de sa génération. Karim Keklou incarne la voix de la raison avec assurance au sein du groupe, ainsi que celui bénéficiant d’une vie de famille.
On pourra regretter à ce titre que les personnages féminins ne soient pas plus mis en avant, même si Adèle Exarchopoulos et Kenza Fortas parviennent à apporter instantanément de l’incarnation et de l’empathie malgré leur faible présence. D’un côté nous avons une femme-flic qui tient le cœur familial de sa personne, de l’autre une indic permettant d’apporter un peu de complicité avec le personnage de François Civil. Un certain degré d’authenticité bienvenu que l’on doit notamment au préparatif de tournage (avec consultants de la police), mais surtout à l’écriture. Jimenez a pondu le script avec sa fidèle collaboratrice (et compagne) Audrey Diwan, parvenant ensemble à habilement jongler entre drame et pur film de genre. Et ce avant tout via un impressionnant travail de mise en scène !
Un vrai polar musclé
Alors que le cinéma français nous avait habitué à privilégier le naturalisme (ou parfois la non-mise en scène, au choix), cela fait du bien de se plonger dans Bac Nord. Cédric Jimenez parvient à immerger le spectateur d’entrée de jeu via une course-poursuite suivie d’une capture de malfrat en territoire hostile. Un exercice de style brut, où la caméra est toujours au plus près de l’action et des personnages, pour en capter toute l’effervescence, l’adrénaline ou l’émotion. Quelque part entre Friedkin et Michael Mann, les influences du réalisateur ne supplantent jamais le style singulier de son cinéma. Sans jamais singer qui que ce soit, Jimenez parvient par ailleurs à emballer une monumentale et intense séquence d’action centrale de 20 minutes
Jonglant entre assaut, fusillades et survie, cette séquence est un moment de bravoure qui mérite à lui seul le visionnage. Non content d’être le pivot et le point de bascule de Bac Nord, ce fait d’armes n’est là que pour illustrer une mise en tension quasi permanente tout au long des 1h45 de métrage, avant une dernière partie certes un peu plus expédiée, mais toujours ultra efficace. Car si Jimenez reprend des faits réels à sa sauce, il signe avant tout un pur polar sous forme de western urbain, où la police se doit d’adapter sa ligne de conduite pour mettre à mal un trafic. Et c’est dans cette menace diffuse (et cet ancrage profondément réaliste et référencé) que Bac Nord sera également source de débat !
Contrairement à un film comme Les Misérables, qui jouait habilement par une dichotomie de point de vue et montrait un cercle vicieux entretenu par le système, Bac Nord nous montre presque exclusivement nos 3 protagonistes policiers. Un regard unilatéral pointé par certains (en particulier lors de la conférence de presse cannoise), sous prétexte que le métrage dépeint la banlieue comme un repaire de voyous et de gangsters sans foi ni loi. Cependant, cet argument mérite nuance à plusieurs niveaux : Bac Nord ne peut se targuer d’être un « film de droite » pour la simple raison qu’il se veut avant tout un polar dans sa pure définition cinématographique. Convoquant un imaginaire du cinéma américain classique, on a donc affaire au duel entre police et criminel, tout en l’ancrant dans une réalité fondée.
Néanmoins, on aurait aimé voir la banlieue avec du quidam autre que des individus répréhensibles, histoire d’offrir une vision plus globale et authentique. Jamais Bac Nord ne dépeint ses policiers comme des héros tout blancs (au contraire) ni ne les glorifie. Cependant, et malgré le caractère « œuvre de fiction », le film nous rappelle à quelques instants précis que tout ceci vient d’une histoire vraie en 2012, où 18 policiers qualifiés de « ripoux » orchestraient un véritable trafic de drogue parallèle. Et à ce titre, sans vouloir retranscrire point par point l’affaire réelle, Bac Nord se révèle étonnamment léger (même pour un polar) vis-à-vis de la dualité des agissements de nos protagonistes. Une composante qui semble presque mise sous la table, et qui aurait permis une nouvelle couche de nuances bienvenue.
Un indispensable du cinéma français
Malgré une relecture des faits réels mise sur le banc de touche, et diminuant forcément sa portée sociale, l’intrigue arrive à faire exister une banlieue moins clichée que ce qui en a l’air, tout simplement via le personnage de Kenza Fortas (loin du rôle d’indic clichée) ou au détours d’une amusante séquence en voiture sur fond de rap (montrant une entente possible). On aurait aimé une dernière partie plus développée donc, mais pas de quoi diminuer la force évocatrice et viscérale ressentie devant ce nouveau coup d’éclat de Cédric Jimenez. De plus, on a jamais vu Marseille filmée avec autant d’amour, sans jamais la dépeindre en mode « carte postale » (la marque d’un cinéaste qui connait bien les lieux donc).
Polar tendu et coup de poing, porté par des acteurs absolument impeccables et une mise en scène diablement maîtrisée, Bac Nord redonne foi dans le cinéma français. Un cinéma à la fois populaire et d’auteur, dont les vélléïtés artistiques cotoient un ancrage social pertinent (méritant nuance). Une petite merveille d’intensité, et un des indispensables de l’année !