Alors que Kalki 2898 AD s’affirme comme un des plus gros succès de l’Histoire de l’Inde, il est temps de revenir sur La Légende de Baahubali : responsable d’une suprématie d’une cinéma du sud au sein du pays, ce double-blockbuster XXL ultra épique aura non-seulement révélé Prabhas tout en étant un grand accélérateur pour la carrière déjà florissante de S.S. Rajamouli (RRR).
Il y a 30-40 ans, le cinéma chinois/Hong-kongais semblait être la plaque tournante du cinéma de demain via des cinéastes comme Tsui Hark, John Woo, Ringo Lam, Wong Kar-wai ou Zhang Yimou. Par la suite, c’est la Corée qui aura été incubatrice de grands cinéastes (Bong Joon-ho, Park Chan-wook, Kim Jee-woon et Na Hong-jin pour ne citer qu’eux).
Jai Hind!
Mais alors que le cinéma peut toujours compter sur des talents de tous horizons, l’Inde aura expérimenté un grand boom de son industrie (ou plutôt de ses industries) ces 10-20 dernières années. Tandis que la presse internationale avait pu voir de manière sporadique les drames classiques ayant marqué le tournant du millénaire (Dil Se, La famille indienne, Devdas, Lagaan..), la délocalisation du pouvoir Bollywoodien aura été une vraie révolution pour le cinéma indien.
Explications : alors que dans l’imaginaire collectif l’Inde semble cantonnée à Bollywood + poulet curry + moustaches, l’entertainment cinématographique local est à l’image des disparités culturelles du pays. Tandis que le cinéma hindi est avant tout affilié à la moitié Nord de l’Inde, on peut également compter sur tout un tas d’industries régionales dans la partie Sud, en langue malamayam, tamil, kannada ou bien telugu.
C’est sur cette dernière que Baahubali aura trouvé son fer de lance, mettant le fameux Tollywood sur l’échiquier des producteurs à grand spectacle. Fier de son affiliation sudiste, S.S. Rajamouli était pourtant déjà auteur de 9 long-métrages avant son double-projet représentant à l’époque le plus gros budget jamais alloué à un film indien (grosso modo 50 millions de dollars pour les 2 parties) !
S.S. Rajamouli touche du doigt le Mahabharata
Marqué par les récits du Mahabharata et du Ramayana (2 poèmes fondateurs de la religion hindouiste) dès son plus jeune âge, Rajamouli aura finalement attendu Baahubali pour en livrer une sorte de diégèse appliquée à une histoire inédite co-imaginée avec son père V. Viyajandra Prasad (réalisateur également scénariste de la quasi entièreté des films de son fils).
Et dès son introduction Baahubali charge mythologiquement son scénario a un niveau à la fois inconscient, mais aussi étrangement universel : dans un lointain passé, une femme blessée fuit le royaume du Mahishmati en protégeant un bébé. Il s’agit de Mahendra Baahubali, véritable héritier du trône ! Recueilli par une tribu Amburi, Baahubali (Prahbas) n’aura de cesse d’être fasciné par les immenses chutes d’eau tombant de la montagne avoisinante.
Les années passent, et ce dernier développe une force surhumaine capable de lui faire gravir la fameuse montagne : un tout nouveau royaume en proie à la guerre s’offre à lui, tandis que Baahubali va non seulement devoir trouver sa place au sein d’un conflit vieux de plusieurs décennies, mais également découvrir ses origines réelles !
Entre folklore hindouiste et universalité mythologique
Tout comme bon nombre d’épopées du cinéma indien, Baahubali use d’une structure relativement connue dans le voyage du héros (que l’on pourrait également affilier au monomythe de Joseph Campbell). En effet, tandis que le protagoniste élargit les horizons de son monde, c’est à sa propre quête identitaire qu’il sera confrontée, tout en découvrant un héritage plus ancien qu’il y paraît associé à un fardeau plus imposant.
Un aspect vertigineux que Rajamouli aborde avec une aisance ahurissante, rendant ludique chacune des nouvelles rencontres de Mahendra. Pourtant, ceux qui connaissent la filmographie du bonhomme savent que dès Simhadri ou bien Magadheera, Rajamouli puisait dans un imaginaire hérité des contes et BD de son enfance pour infuser une aura mythologique (et parfois fantastique) dans ses propres réalisations.
Mais plus encore avec Baahubali, c’est le Mahabharata qui sera convoqué ! Outre le fait d’être la source d’inspiration première de Rajamouli (qu’il rêve d’adapter depuis toujours), ce poème est sans nul doute l’œuvre fondatrice la plus importante de l’histoire de l’Inde. Une épopée sanskrite de 18 livres (le plus long poème de l’Histoire de l’humanité, de quoi faire rougir l’Iliade/l’Odyssée), comptant la rivalité royale entre 2 branches cousines d’une même dynastie au fil des générations.
Un récit ample pétri de batailles mythiques (Kalki 2898 en montre d’ailleurs un tout petit segment dans son introduction) et de personnages mythologiques, jusque dans une conclusion douce-amère en suspens. Cela tombe bien, car Baahubali se voudrait presque une grille de lecture optimiste du Mahabharata (on rappelle que le réalisateur abordait déjà les luttes intestines familiales dans sa très bonne comédie Maryada Ramamna) teintée de Robert E. Howard/Tolkien..le tout via une identité purement indienne.
Balance extrême des tons
Une identité forte qui nous agrippe dès sa sublime séquence d’intro (on pense forcément à Moïse sauvé de la mort par une figure matriarcale, puis aux travaux d’Hercule devant l’ascension métaphorique de l’Olympe), avant de bifurquer vers une dichotomie que seul le cinéma asiatique semble avoir maîtrisé : la balance entre l’innocence (voire même le gentiment kitsch) absolue et la violence sèche brute de décoffrage au sein d’un même métrage !
Même dans des exemples plus récents comme Jawan, le cinéma indien a toujours un goût prononcé pour la pureté des émotions et un romantisme exacerbé..le tout cristallisé par les traditionnels numéros musicaux ! Retrouvant son cousin et fidèle collaborateur M.M Keeravaani, Rajamouli nous abreuve certes d’instants chantants et dansants impeccablement filmés (on pense encore à « Manohari » et sa scénographie enivrante), mais avant tout drivés par la dramaturgie et l’évolution relationnelle entre les personnages (« Dhivara« , « Panchi Bole« , « Dandaaleyyaa« ..).
Curseur émotionnel derrière le spectacle
Une dramaturgie qui n’élude d’ailleurs jamais le trombinoscope de personnages, que ce soit la figure antagoniste délicieusement représentée par Bhallaladeva (Rana Daggubati), elle-même inspirée du Mahabharata et Ramayana ; ou bien les femmes de La Légende de Baahubali (Sivagami et Devasena). Dès lors, le 1er film opèrera un ambitieux virage qui se conclura dans le 2nd métrage : à savoir laisser le récit en suspens pour se concentrer sur l’histoire de Amarendra Baahubali (le père du héros) !
Un long-flash-back levant le voile sur la génération royale précédente, et qui permet amirablement de mettre en lumière les rapports émotionnels renversés entre les divers personnages, et de donner un grand coup de fouet épique à l’ensemble de l’intrigue ! Et qui dit épique, dit grosses batailles avec milliers de figurants (également augmentés par CGI) !
Baahubali : une leçon de cinéma épique
Si Rajamouli avait déjà fait preuve d’un savoir-faire d’esthète/artisan certain dans Magadheera (même si limité par son budget) ou même Eega (merveille de cinéma numérique mais à l’ambition autre), il trouve avec Baahubali un terreau créatif ample (encore plus que ce qu’il fera avec RRR) lorgnant même vers du Cecil B. DeMille (l’aspect fastueux de la production design) ou du Peter Jackson (la tribu Kaalakeya ne dépareillant pas avec les Orcs)
Les batailles et moments de bravoure s’enchainent avec une virtuosité folle, dans des proportions jubilatoires à la fois au service d’un fétichisme des acteurs (chose que le cinéma occidental a plus ou moins oublié depuis 30 ans), du plaisir du spectateur (évidemment !) et de l’émotion (impossible de ne pas avoir les poils qui se hérissent devant les évènements de fin impliquant Amarendra) !
Bref, un pur bonheur de cinéphile qui n’élude d’ailleurs jamais le traumatisme de ses personnages (le sort de Devasena) ou bien la violence de son univers (membres et têtes tranchées), sans pour autant choquer. La quintessence du blockbuster populaire qui ne fait cependant aucune concession sur ses velléités créatives (le plan final renvoyant à Shiva en est d’ailleurs divinement éloquent), si ce n’est une relative déception : devant le caractère chargé de son récit de plus de 5h30, on ressort presque un tantinet déçu du traitement réservé à Mahendra Baahubali (pour rappel le héros initial du 1er film).
Le début du pan-indianisme cinématographique
En effet, la progéniture du véritable protagoniste principal de La Légende de Baahubali se révèlera plutôt personnage fonction dans l’ultime mouvement de l’impressionnant climax de Baahubali 2 (au même titre que sa romance avec Avantika, rapidement expédiée). Un défaut qui ne pèsera bien sûr pas bien lourd dans la balance finale, tant Rajamouli défoncera littéralement les portes du cinéma épique et du cinéma indien.
Le résultat tient non seulement d’un point de vue qualitatif : Baahubali est aisément un des tous meilleurs projets de son auteur, un des meilleurs films à grand spectacle du cinéma indien..mais aussi un des plus grands récits épiques de ces dernières années. Un triomphe qui officiera instantanément comme la naissance d’un phénomène mondial dans la distribution de blockbusters indiens, tandis que Baahubali 2 tient le record du 2e plus gros succès de tous les temps pour un film indien (près de 250 millions de dollars au box-office mondial) !
Un carton amplement mérité pour cette fresque épique qui est déjà un des grands marqueurs de son temps. Par la suite, S.S. Rajamouli et sa famille de collaborateurs auront su aller plus loin avec le formidable RRR (en attendant sa suite et d’autres projets), tandis que la carrière de Prabhas aura pris un tout aussi gros coup d’accélération. Bref, un excellent diptyque à revoir sans modération, tout en scandant Baahubali à tue-tête !
La Légende de Baahubali Partie 1 & 2 est disponible sur Netflix
avis
Véritables festins d'idées visuelles, les 2 volets du diptyque Baahubali demeurent encore une véritable leçon de cinéma épique et de digestion d'influences mythologiques. En résulte un des plus hauts faits d'armes de S.S. Rajamouli, et toujours un des plus grands succès de l'Histoire du cinéma indien. Une odyssée à revoir ou redécouvrir sans plus tarder !