En projet depuis plus de 10 ans, Au cœur des ténèbres est une nouvelle adaptation du roman de Joseph Conrad. Présenté au Festival d’Annecy en Séance de minuit, cette production d’animation franco-brésilienne est-elle digne d’Apocalypse Now ?
Heart of Darkness ou plutôt Au cœur des ténèbres fait globalement office de pilier culturel et littéraire aujourd’hui. En effet, cette œuvre de la fin du XVIIIe siècle plaçait un jeune gradé de la marine britannique remonter un fleuve en pleine Afrique subsaharienne colonisée dans le but de retrouver un général renégat : Kurtz !
Et plus encore que l’œuvre originelle, c’est surtout son adaptation Apocalypse Now (où Francis Ford Coppola relocalisait l’action au sein de la guerre du Vietnam) qui est entré dans la légende ! Un chef-d’œuvre terminal brouillant les frontières morales du bien et du mal, mais qui n’est pas la dernière adaptation en date d’Au cœur des ténèbres.

Nicolas Roeg s’est essayé (et a échoué) à une transposition plus littérale du contexte du roman de base, tandis qu’on retrouve même des réminiscences de Conrad dans le milieu du jeu vidéo (l’excellent Spec Ops The Line). Il n’est donc pas étonnant de voir une nouvelle revisite de cette odyssée à la portée universelle, mais c’est la première fois qu’un film d’animation s’attaque à Heart of Darkness.
Au cœur des ténèbres de Rio de Janeiro
En projet depuis 2014 et bénéficiant d’un faible budget, cette version d’Au cœur des ténèbres réalisée par Rodrigo Nunes est une co-production franco-brésilienne. Cette fois, le récit se délocalise au Brésil dans un futur proche qui fait exploser les fractures sociales d’aujourd’hui. Tout est d’ailleurs admirablement encapsulé dans son introduction ultra-kinétique et pop, montrant des favelas gangrenées par une guerre entre gangs et forces de l’ordre.
Tropa de Elite et La Cité de Dieu ne sont donc pas loin, tandis que cette version d’Au cœur des ténèbres reprend globalement les mêmes prémices : Marlow est un jeune flic mandaté par ses supérieurs pour retrouver Kurtz, flic de renom ayant disparu dans un recoin sensible des favelas. S’ensuit donc une traversée des bidonvilles de Rio…. qui souffle le chaud et le froid.

Le chaud, car ce Au cœur des ténèbres parvient à intervalles réguliers à capter le tumulte qui anime cet embrasement des bas quartiers face à une police se voulant omnipotente par usage de drones et d’armes sophistiquées. Au final le film nous montre que la dystopie est bien là, et n’attend qu’une allumette pour que tout n’explose rapidement.
Le froid, car outre son petit budget, la narration globale expurge tout le développement psychologique pourtant attendu d’Heart of Darkness. Pas de plongée vers la folie, pas de questionnement métaphysique ou spirituel, et pas de personnages marquants en cours de route. Affublé de quelques personnages secondaires fonction, Marlow fait cependant la rencontre d’un baron de la pègre trans à la personnalité haute en couleurs.
Ambivalence qualitative
Malheureusement, ce dernier sera rapidement sacrifié après une étonnante scène de rave party : Au cœur des ténèbres accuse ainsi d’une rythmique en dents de scie le long du fleuve, alternant scène de fusillade violente, absence d’atmosphère, peinture incarnée d’une société en déliquescence, célébration mystique…

Le final du film se révèle d’ailleurs étonnant : entre déception globale vis-à-vis de la confrontation avec Kurtz, fascination devant la direction artistique et résolution fastoche des enjeux globaux du récit. La faute là encore à une dramaturgie tout simplement pas au niveau de l’œuvre. Pour autant, difficile de pleinement jeter la pierre à cette proposition, affichant un style graphique encore une fois ambivalent.
D’un côté une animation 2D prônant l’épure, qui arrive par ce procédé à proposer un monde à la fois pictural, inconscient et évocateur. De l’autre des incrustations 3D criardes venant parasiter le style sous-jacent. C’est bien dommage donc, d’autant que derrière la dramaturgie des personnages pèche, tout en respectant l’esprit de Conrad. Reste un sentiment global en forte demi-teinte, malgré un tout dernier plan réussi qui touche du doigt ce que dénonce la réalisateur.
Au cœur des ténèbres sortira au cinéma en 2025. Retrouvez tous nos articles du Festival d’Annecy ici.
avis
Au cœur des ténèbres séduit de par sa réadaptation incarnée au sein du tumulte des favelas brésiliennes. Mais malgré une direction artistique inspirée et une violence puisant sa source dans un contexte politique sous-jacent, le film accuse d'une dévitalisation de la psychologie des personnages, et de la mystique existentielles qui caractérise Heart of Darkness. Une transposition en demi-teinte donc !