À cœur perdu est un seule en scène qui nous livre le récit fort et troublant d’une expérience de mort imminente.
À cœur perdu est l’histoire vraie d’Emmanuelle de Boysson, adaptée de son roman « Un coup au cœur ». Elle y raconte le plus soudain, le plus brutal et le plus marquant de tous les voyages : celui vers la mort, dont elle revenue in extremis.
L’électrochoc de la vie
Une femme, lovée dans un fauteuil. Son corps gracieux qui s’étire, se déploie, embrasse l’existence. Elle est vivante, mais il s’en est fallu de peu, de très peu. Ça s’est joué à un électrochoc, le huitième, le dernier avant le renoncement, avant le constat inévitable qui suit 30 minutes de tentative de réanimation vaine. La vie qui reprend ses droits, une femme aux portes de la mort qui ressuscite. Un miracle.
Cette histoire est celle d’Emmanuelle de Boysson dont le cœur s’est soudainement arrêté le 7 février 2022. Par chance, ce jour-là, elle travaillait depuis chez elle, aux côtés de son compagnon. Celui-ci a alors pu lui faire un massage cardiaque, poursuivi par les pompiers qui parviendront, après de longues minutes d’efforts et après que l’espoir a presque fini de se dissoudre, à la ramener à la vie.
Une troublante expérience de mort imminente
C’est une expérience extra-ordinaire qu’a vécu cette miraculée, une aventure un peu mystique qu’elle a eu du mal à partager même avec ses proches, de peur qu’on ne la croit pas, qu’on la prenne pour une illuminée. « Tout ce qu’on vit d’exceptionnel nous isole » explique-t-elle très justement.
Ici, devant nous, c’est avant tout son corps qui raconte. Il y a les mots, bien sûr, nécessaires pour se libérer et transcender l’épreuve, mais il y a surtout la douceur et la puissance de la chorégraphie de Véronique Boutonnet qui, avec le talent qu’on lui connaît, offre un écrin à ce récit. Sa mise en scène, empreinte d’une grande légèreté et d’une énergie vitale salvatrice, contrebalance avec la dureté du propos, le brouhaha du jargon médical. Comme ce combat contre la mort exprimé dans une chorégraphie joyeuse et endiablée aux airs tribal.
À cœur perdu, sur un fil entre deux mondes
On aurait pu s’attendre à ce que le plus pénible se trouve dans l’expérience de la mort. Et pourtant, étonnamment, les mots d’Emmanuelle de Boysson – ceux du roman mais aussi ceux qu’elle nous livrera avec beaucoup de simplicité et de sincérité à l’issue de la représentation, expriment surtout la douleur du retour à la vie, de l’existence à réapprendre après avoir entrevu ce qui avait des airs de Paradis…
Car c’est ainsi qu’elle nous raconte ce face à face avec la mort dont elle nous assure n’avoir aujourd’hui plus peur : un soulagement, une plénitude, de la beauté à n’en plus finir. Même si elle précise qu’il s’agit là de sa propre expérience de mort imminente, et que d’autres en reviennent avec des témoignages tout à fait différents.
« La mort, je ne sais pas pourquoi on en fait tout un plat. Personne n’est jamais revenu pour s’en plaindre. »
La merveilleuse Carmen Vadillo donne vie à ces mots avec beaucoup de grâce, de douceur, d’humour aussi, et surtout une énergie solaire qui nous transporte et nous met en confiance pour la suivre dans cette aventure à la rencontre de nos pires angoisses. À la rencontre aussi de l’essence même de la vie, de la joie des petits riens qui sont loin d’être rien du tout, de la beauté des choses simples, de l’importance de les célébrer. Sa sensibilité et la générosité de son interprétation nous émeuvent. On la regarde et l’on se dit que personne n’aurait pu mieux qu’elle donner si joliment vie à la mort.
À cœur perdu, adapté du roman d’Emmanuelle de Boysson par Hervé Bentégeat, avec Carmen Vadillo, mise en scène Véronique Boutonnet, se joue au Théâtre de l’Essaion jusqu’au 14 janvier 2024.
Avis
Revenir de la mort. On ne s'attend pas à ce qu'un voyage comme celui-ci, que l'on imagine forcément terrifiant, prenne des airs de conte merveilleux ! C'est troublant, forcément. Captivant aussi, et cela ouvre inévitablement notre regard, notre esprit. On ne va tout de même pas jusqu'à souhaiter qu'elle arrive vite, mais cela nous rendrait presque un peu curieux !