Emma Picard est le récit lyrique et poignant d’une tragédie personnelle dans l’Algérie colonisée des années 1860.
« Emma Picard » est l’adaptation du roman de de Mathieu Belezi, « Un faux pas dans la vie d’Emma Picard », qui raconte l’arrivée en Algérie d’une paysanne, veuve et mère de quatre fils, dans les années 1860, pour échapper à la misère en France. Une histoire forte qui prend ici la forme d’un seule-en-scène bouleversant.
« Mais avant de me taire, il faut que je dise dans quel enfer on nous a jetés, nous autres colons, abandonnés à notre sort de crève-la-faim sur des terres qui ne veulent et ne voudront jamais de nous. »
Une surprise comme on les aime
Pour être parfaitement honnête, c’est pour les besoins d’une interview que nous sommes allés découvrir « Emma Picard », à Paris, il y a quelques mois. Nous avions peur que le temps soit un peu long devant ce seule en scène sur l’histoire d’une femme partie en Algérie dans les années 1860 cultiver une terre « offerte » par le gouvernement français, à la conquête d’une sorte d’eldorado pour échapper à la misère. Et vous allez bientôt comprendre pourquoi ces guillemets autour du mot « offerte » …

Mais avant cela, et vous l’avez évidemment vu venir, nous allons vous raconter ce qu’il s’est finalement passé dans la salle du théâtre de l’Essaïon, où nous avions presque prévu de nous ennuyer ce soir-là. Eh bien figurez-vous que nous n’en avons même pas eu le temps. Car Marie Moriette est entrée sur scène, et nous nous sommes alors retrouvés en Algérie. Ou plus précisément, sur ce bout de terre aride où l’air poussiéreux est doucement venu recouvrir la promesse d’un bonheur retrouvé.
Une performance saisissante !
Marie Moriette, ou plutôt Emma Picard, est entrée sur scène, paysanne au regard vide, au corps usé et aux habits souillés, plongée dans une semi-pénombre, et nous avons compris que le voyage dont il s’agissait était autre. Un voyage au bout de soi, voilà ce que raconte ce magnifique texte de Mathieu Belezi.

À travers son interprétation, si sombre et lumineuse à la fois, ainsi que dans la mise en scène minimaliste d’Emmanuel Hérault, nous avons senti la chaleur étouffante de cet été assassin venir griffer notre peau ; nous avons senti le soleil, le froid, la neige ; nous avons failli trébucher sur ce chemin terreux qui semblait déjà vouloir prévenir de la désillusion à venir ; nous nous sommes attachés à Mekika, sorte d’ange gardien dont la générosité et la gentillesse ne suffiront malheureusement pas à maintenir la flamme de l’espoir allumée ; nous avons vu le puits vide, les sauterelles déterminées à tout ravager, la maladie s’avancer sur la pointe des pieds, les familles affamées errer telle des zombies, abandonnées par la vie, la mort qui se répand…
Emma Picard ou le mirage de l’eldorado algérien
« Emma Picard », c’est le récit d’une femme qui a perdu son mari et part avec ses enfants sous le bras embrasser le mirage d’une vie meilleure promise par « l’homme à cravate, assis derrière son bureau de fonctionnaire ». Parce que « Une imagination de pauvres ça vous fait construire des maisons très grandes » nous disent les mots si poétiques et poignants de Mathieu Belezi.
« Dans la lumière indifférente de ce soir d’Algérie, nous avions comme cessé de vivre. »
C’est le récit d’une femme que nous regardons déballer un cadeau empoisonné tandis qu’elle apprivoise sa nouvelle vie d’apprentie colon, rapidement confrontée à une nature devenue hostile, à un quotidien changé en lutte, au manque, à la perte, au vide, au désespoir jusqu’à la foi qui vacille… « Emma Picard », c’est l’incarnation d’un courage teinté d’obstination, et c’est surtout l’interprétation merveilleuse de Marie Moriette grâce à laquelle, non seulement nous ne sommes ni ennuyés ni endormis, mais où c’est à peine si nous avons cligné des yeux. Bravo !
Emma Picard, d’après le roman de Mathieu Belezi, avec Marie Moriette, mise en scène Emmanuel Hérault, se jouera du 5 au 26 juillet 2025 au Théâtre Transversal, à Avignon.
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Avis
Cette découverte aussi belle qu'inattendue illustre à merveille comme il est bon d'oser, parfois, aller là où nous n'aurions pas forcément eu l'envie d'aller. De jolies trouvailles s'y cachent parfois. Il est particulièrement bon de le rappeler à quelques jours du début du Festival d'Avignon !