L’art cinématographique englobe des formes visuelles et narratives protéiformes. Tourment sur les îles est là pour nous rappeler qu’il est toujours possible à notre époque d’inventer une nouvelle forme de cinéma.
Sur l’île de Tahiti, un haut commissaire (Benoît Magimel) sert de relais entre le gouvernement français et les habitants de l’archipel. Mais quand un amiral débarque sur terre, il fait renaître la peur des essais nucléaires réalisés par la France jusque dans les années 90. Avec ces allures de film paranoïaque des années 70, Tourment sur les îles propose une intrigue, dans ses grandes lignes, qui n’est pas nouvelle. Mais c’est dans le détail et la réalisation que l’œuvre prend son envol.
Étrange et absurde
On va se permettre une comparaison culinaire : vous aimez la coriandre ? Parce que Tourment sur les îles, c’est comme la coriandre… On aime ou on déteste. Or, votre humble narrateur ne résiste pas à en mettre le maximum dans ses plats. En soi, l’œuvre démontre avec une certaine forme de sincérité inconsciente que la question du goût et des couleurs s’applique évidemment à l’art. Car, le long-métrage d’Albert Serra (La Mort de Louis XIV) est la définition même de l’ovni filmique et il faut avoir le cerveau bien préparé avant de se lancer dans l’aventure.
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Déjà, il dure 2h43 ! Qu’est ce qui justifie une telle longueur ? Eh bien, rien de particulièrement visible si ce n’est que c’est dans sa durée avec ce faux rythme qu’il tire une partie de sa force. C’est un voyage sensoriel, souvent absurde, aux dialogues au réalisme outrancier entrecoupés de silences étranges. Le jeu des acteurs peut paraitre faux, mais à la manière du style de la Nouvelle vague dans les années 60 où les acteurs avaient un phrasé très typé, Benoît Magimel et l’ensemble du cast ont une approche du langage – des mots et des corps – qui peut sembler abscons. Pour autant, cela insuffle une sorte de charme inexplicable à l’œuvre.
D’autant plus que les personnages sont tous plus étonnants les uns que les autres. Magimel déambule sur l’île et discute de tout et de rien avec les habitants. Il livre une prestation incroyable, totalement en roue libre, dans laquelle se dessine un personnage des plus complexes aussi absurde qu’il est sincère. D’ailleurs, on peut mentionner un petit exemple qui démontre l’absurdité de la caractérisation du personnage : il porte tout le temps des lunettes de soleil. Même en boîte de nuit. Quand on voit cela, on sait qu’il faut prendre l’œuvre avec un minimum de second degré.
Visuellement sublime (et ce n’est pas un superlatif)
Il ne faut pas avoir peur des mots, car l’histoire du cinéma est jalonnée d’œuvres à l’esthétique époustouflante (Nosferatu de Murnau, Quand passe les cigognes de Kalatozov…) or Tourment sur les îles réussit à s’inscrire dans cette tradition du cinéma comme l’art de l’image par excellence.
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Les compositions des plans sont somptueuses et le cinéaste sublime ses cadrages avec un travail de premier plan sur la lumière. C’est un film coloré qui joue énormément sur des couleurs délicieusement saturées et qui permettent des contrastes visuels détonants. Ainsi, le bleu éclatant de l’eau contraste avec le vert de la flore et le rouge des couchers de soleil. D’apparence simple, on sent que c’est un film qui a demandé une profonde réflexion dans la composition de chaque plan à la manière de la mise en scène d’un Nicolas Winding Refn ou d’un Wes Anderson.
Au final, on va conclure par de la prévention cinématographique afin d’éviter des crises cardiaques, des ronflements intempestifs ou encore des sorties ininterrompues de la salle : attention, ce film est bizarre (vous avez dit bizarre ?). Peut être que vous allez le détester de tout votre être, mais peut être également vous allez en sortir émerveillé, heureux d’avoir découvert une œuvre au style unique… Bref, vous voilà prévenu !
Tourment sur les îles est présenté en compétition officielle au Festival de Cannes 2022.
Avis
Visuellement sidérant et au style complètement unique, Tourment sur les îles est un grand film qu'on aime ou qu'on déteste.