Frère(s) nous livre une histoire d’amitié passionnante et mouvementée dans le monde éprouvant de la gastronomie.
L’amitié est d’autant plus belle quand elle arrive là où on ne l’aurait jamais attendue. Ni Maxime ni Émile n’auraient pu imaginer qu’ils allaient créer ce lien entre eux, s’unir dans l’adversité et ne plus se quitter… ou presque. Car la vie professionnelle dans laquelle ils vont se lancer ne leur laissera aucun répit. Frère(s) nous confie une histoire d’amitié venue nous toucher en plein cœur.
Chef, oui chef !
Ils ont 15 ans et préparent un CAP cuisine. Le premier est petit, nerveux, vit en banlieue. L’autre est grand, timide, et vient d’un milieu aisé. Tout oppose Maxime et Émile. Pourtant, dans cette cuisine-école de 300m2 éclairée aux néons où l’apprentissage prend rapidement la forme d’une épreuve, une amitié va naître. Les deux compères vont devenir inséparables, complices, et même complémentaires.
« La première qualité d’un apprenti cuistot, c’est de savoir fermer sa gueule. » Et tant pis pour l’injustice, les humiliations, pour la violence. Tant pis pour les propos qui découragent et briseront ceux, plus rarement « celles », qui n’auront pas les épaules pour les encaisser. Plus rarement « celles » car dans ce CAP qui n’a ouvert ses portes aux filles qu’à partir des années 80, elles restent très minoritaires. Fils d’un restaurateur, Émile est doué, déterminé, audacieux. Alors il se tait et subit.
L’enfer du décor de la haute gastronomie
À 18 ans, leur CAP en poche, Maxime et Émile plongent dans le grand bain. Resto routier, bistrot, trattoria minable, restaurant étoilé, mais aussi stade de foot ou cellule de prison… leurs expériences se suivent et ne se ressemblent pas. Quant l’opportunité de rejoindre la haute gastronomie se présente, les deux hommes saisissent l’occasion. Mais les conditions sont rudes. 80 heures par semaine, tout le monde à cran, un rythme épuisant, un turn over incessant…
« Je rentre chez moi et je regarde mon grand écran, mon grand frigo, mon grand vide. »
Une cadence à laquelle Émile ne résiste pas. Lui qui était autrefois le plus passionné des deux ne veut pas être cette machine que ce milieu impose d’être. Et tandis que Maxime devient, lui, obsédé par son métier et sa quête d’excellence, Émile se désole de voir leur amitié prendre le large en même temps que leur rêve d’ouvrir un restaurant ensemble. Et la nostalgie vient peu à peu faire de l’ombre à la passion, à l’amitié.
Quand l’amitié se fait dévorer toute crue
Dans cet univers masculin, les choses se vivent mais on du mal à se dire, en tout cas avec des mots. Alors la distance se creuse et l’amitié se change en un souvenir, parfois doux et réconfortant, parfois douloureux et teinté de regrets. Frère(s) nous plonge dans les coulisses du monde de la haute gastronomie, réputé pour son exigence, critiqué pour sa dureté, et pour lequel il faut être prêt à bien des sacrifices. « Beaucoup de mes amis y ont laissé des plumes. J’y ai travaillé quand j’avais 20 ans et compris que je n’aurais pas les épaules pour tenir alors j’ai fini par en faire un spectacle. » explique Clément Marchand.
Dans une scénographie très évocatrice, Jean-Baptiste Guinchard & Guillaume Tagnati nous livrent avec beaucoup de nuances une chorégraphie qui nous tient en haleine d’un bout à l’autre. Les deux comédiens sont puissants, justes, convaincants. Ils nous bouleversent, nous font rire, nous font douter avec eux. Et on ne peut s’empêcher d’espérer que tout finira bien, pour l’un comme pour l’autre et pour cette amitié aussi belle qu’improbable à laquelle on voudrait prêter des mots pour qu’elle sache mieux se dire…
Frère(s) : tous les ingrédients d’une bonne recette !
Il est des spectacles dans lesquels on perçoit plus que dans d’autres la dimension collective du travail effectué par l’ensemble de l’équipe artistique. Frère(s) en fait partie. En effet, tout y est si fluide, chaque élément apparaît à ce point comme un langage que l’on ne saurait dire ce qui, du jeu des comédiens, de la scénographie de Natacha Markoff, des lumières de Julien Barillet, des chorégraphies de Delphine Jungman ou encore de la musique de Patrick Biyik, a pris place en premier.
Si ce n’est qu’au départ, bien sûr, il y a le texte de Clément Marchand, qui signe ici sa première pièce et sa première mise en scène. À la fois captivant, touchant, drôle : le résultat est à point ! Il y a de la fantaisie, de l’humour, une forme de légèreté au beau milieu de ce « monde de brutes ». La mise en scène est habile, tonique, au service des énergies. Elle favorise audacieusement un jeu frontal dans des moments bien choisis, et célèbre l’amitié, la complicité entre les deux hommes.
Le public s’est levé dans un même élan à l’issue de l’avant-première parisienne pour applaudir bien fort ce spectacle parfaitement abouti. C’est mérité. Et nul doute qu’au Guide Michelin des spectacles s’il existait, Frère(s) aurait décroché son étoile. À défaut, ce sera un coup de cœur !
Frère(s), écrit et mis en scène par Clément Marchand, avec Jean-Baptiste Guinchard & Guillaume Tagnati, se joue au Théâtre des Corps Saints, du 3 au 21 juillet 2024 à 18h05 (relâche les mardis), puis en tournée en France.
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Avis
À l'heure où la gastronomie se trouve plus que jamais sur le devant de la scène et où toutes sortes de Top Chefs font fleurir de nouvelles vocations, Frère(s) met en lumière un aspect plus sombre et problématique de ce métier. Le divertissement n'est pas oublié pour autant et le résultat se laisse savourer sans se faire prier !