Iphigénie à Splott est une tragédie rock organique qui nous emmène à la rencontre d’une jeune femme sauvage en proie à la précarité.
Iphigénie à Splott est une pièce qui secoue par son histoire, son rythme, son interprétation. Une expérience de théâtre qui impose le silence et nous scotche à notre siège.
Et dire que nous allions quitter Avignon sans voir ce spectacle… Sans nous prendre cette claque et terminer ce Festival OFF un peu sonnés par cette performance hors-normes. Alors, certes, il est désormais trop tard pour céder à la curiosité d’aller au 11.Avignon découvrir cette pièce dont le titre s’est murmuré dans les files d’attente. Mais nous avons quand même envie de vous en parler. Surtout que, si Iphigénie à Splott a terminé son Festival, sa route et son succès s’annoncent encore bien longs…
Quand la vie est un combat
Elle habite à Splott, un quartier de Cardiff, au Pays de Galle, devenu lieu de désolation depuis que la fermeture des usines a entraîné dans son sillage le chômage et la précarité. Elle sort avec Kévin, « un gros blaireau ». Le seul moyen pour elle de tenir toute la semaine dans cette misérable existence c’est d’enchaîner les gueules de bois. Jusqu’au jour où une rencontre en boîte de nuit va lui offrir la possibilité de rêver à autre chose. Peut-être même à un avenir…
Effie, c’est le genre de jeune femme abîmée par la vie que l’on croise sans lui prêter attention, ou alors pour s’assurer qu’elle ne s’approche pas trop près. Le genre de jeune femme qui semble n’avoir plus rien à perdre et pourrait bien vous faire exploser sa colère au visage si vous la regardez un peu trop dans les yeux. Une bombe à retardement.
Iphigénie, un volcan en éruption
Enfin… pas tant à retardement que ça. Car c’est dès les premiers instants du spectacle qu’elle explose. Une interminable déflagration. Et c’est sans doute là qu’il nous a manqué un peu de nuances. En effet, aussi percutante et bouleversante soit-elle, ce sont le même rythme, la même tonalité, la même intensité qui s’imposent d’un bout à l’autre. Nous aurions aimé que, parfois, la souffrance soit plus sourde, plus en subtilité, qu’elle ne hurle pas et vienne d’abord nous caresser avant de nous mettre KO.
Ainsi, c’est progressivement que nous nous sommes laissés séduire par la prestation de Gwendoline Gauthier et ce personnage qui nous a d’abord paru un peu trop tout. Trop dans la démonstration. Son look, son langage brut, cru et saccadé, son attitude corporelle tout aussi agressive que cette voix qui aboie… Toute la panoplie d’une existence à la marge, d’une banlieusarde abandonnée à son sort dans sa ville fantôme et rongée par la colère.
Une pièce tragiquement belle
Mais, impossible de ne pas se laisser attraper par cette comédienne hypnotique, qui joue avec ses tripes. Et par cette histoire tragique aussi, où l’on n’ose même plus espérer que quelque chose de beau arrive tant tout a l’air piégé, promis d’avance au drame. La musique aux sonorités rock jouée en live par François Sauveur, Julien Lemonnier et Pierre Constant, accompagne à merveille cette intensité brûlante, ce chemin de vie miné où le bonheur n’a pas sa place.
« C’est comme si j’allais me sentir pas seule pour toujours. »
Le temps de la rencontre, magnifiquement accompagné par le violon, offre toutefois une respiration salvatrice, une lueur d’espoir, une parenthèse de sensibilité qui nous bouleverse. La jeune femme fougueuse y dévoile soudain sa vulnérabilité, sa douceur, ce désir jusque-là enterré d’aimer et de se sentir aimée. Mais on se doute bien que tout cela n’est qu’un mirage. Elle est de ces destins sur lesquels la nuit ne se lèvera jamais… Les rebondissements qui suivront viendront tristement le confirmer…
Une puissante tragédie sociale
La mise en scène tamisée de Georges Lini, qui délimite la scène à la manière d’un ring, est sobre, sombre, et offre au superbe texte de Gary Owen tout l’espace nécessaire pour faire résonner la puissance de son propos. Car au milieu de toute cette rage se déploie la critique d’un système social et politique défectueux, où l’injustice sévit et laisse trop de vies sur le bord de la route.
« Mais que se passera-t-il le jour où on ne pourra plus encaisser ? » nous demande-t-elle directement. Iphigénie, figure de la mythologie associée à l’idée de sacrifice, est ici une héroïne lucide qui réclame avec l’insolence et la détermination d’une guerrière ce que chacun de nous lui doit. Son désespoir nous semble lointain, mais soudain il nous concerne. Et quand le combat prendra fin, au terme de 90 minutes à bout de souffle, c’est finalement nous qui sortirons KO.
Iphigénie à Splott, de Gary Owen, mise en scène Georges Lini, avec Gwendoline Gauthier, se joue au 11.Avignon, du 7 au 26 juillet, à 10h20.
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Avis
Iphigénie à Splott a gagné le prestigieux "Theatre Awards" de la meilleure pièce à Londres. Écrite il y a plus de dix ans, le message qu'elle véhicule avec force est pourtant toujours d'actualité. Elle nous invite à poser un regard différent sur toutes les Effie que l'on pourrait croiser.