Dans un monde post-apocalyptique, deux hommes se rencontrent et décident de se raconter « la dernière histoire de l’humanité ».
Le rossignol est un oiseau au répertoire de sons étonnamment riche et au chant mélodieux, symbole du printemps, de la nature. Le « rossignol du carnage », c’est aussi le surnom donné par Romain Rolland à l’écrivain et homme politique français Maurice Barrès, connu pour son nationalisme, son antisémitisme, son pessimisme, son rôle dans la propagande de guerre ou encore son « culte du Moi ». Et c’est sans doute plutôt du second que tiennent ces rossignols du carnage qui chantent devant le désastre qui se profile, et dont ce spectacle d’une grande intensité espère faire taire les voix.
Demain n’aura pas lieu
La compagnie Les Chevals de trois revient cet été à Avignon avec un nouveau spectacle qui confirme la volonté de cette jeune et fort sympathique troupe belge de réveiller les consciences. Ou plutôt ici, de les secouer bien fort ! Nous les avions découverts l’année dernière avec leur toute première pièce, Des chèvres en Corrèze. Un seul en scène engagé et poétique que nous avions beaucoup apprécié, situé à mi-chemin entre conte philosophique et récit initiatique, et porté avec une conviction sans faille par Dimitri Lepage.

Dans Les Rossignols du carnage, il partage cette fois la scène avec Mathieu Laviolette, qui porte d’ailleurs la grande majorité du texte, et qui le fait avec talent. Une sacré performance ! Les deux hommes se retrouvent dans un monde post-apocalyptique, conscients que la fin est proche, et l’un d’eux invite l’autre à raconter son histoire pour se raccrocher à ce qu’il reste d’humain en eux.
La dernière histoire de l’humanité
C’est alors une plongée à la fois touchante, drôle et troublante dans l’intimité d’une existence qui se déroule sous nos yeux. Touchante parce que cet homme au bord du gouffre revient sans aucun filtre sur ses drames, ses faux pas, ses mauvais choix. Drôle parce que son compagnon de fin du monde le met régulièrement, et avec un peu de malice, face à ses contradictions, à son déni. Troublante enfin parce qu’elle nous confronte, nous aussi, à certaines réalités qui nous font parfois hésiter entre rire et pleurer.
C’est notamment le cas de cette longue et si pertinente scène dans laquelle le corps se change en pantin de plus en plus désincarné pour se mouvoir machinalement sur la chanson de Stromae « Alors on danse », dont les paroles résument finalement assez bien le propos de ce spectacle. Probablement pour nous le moment le plus marquant d’ailleurs, pour tout ce qu’il incarne habilement sans le dire, pour ce chaos que notre génération accueille avec « une colère un peu enfouie et une sorte de démotivation générale », et même dans la joie d’une certaine manière. Brillant.

C’est l’histoire d’une vie qui semble n’avoir été qu’une longue descente vers les profondeurs du chaos. Du shoot à la dopamine, « comme un appétit insatiable de quelque chose qui s’échappe en permanence », à l’entrée dans le monde rempli d’illusions du salariat, en passant par la solitude, la consommation de drogues en tous genres et l’inévitable descente aux enfers qui s’ensuit, ou encore la course à la réussite, à la perfection, à l’illusion de contrôle…
Les Rossignols du Carnage : une plongée en eaux troubles et profondes
Certes, il y a aussi la rencontre de cet homme avec le théâtre et ses histoires, comme une bouffée d’oxygène dans les profondeurs des abysses. Car il est là, le message de ce spectacle : prôner le pouvoir du récit, de la rencontre, de l’échange, contre l’indifférence et la résignation. Une ode « aux grands récits qui nous façonnent, aux petits récits qui nous fabriquent », et qui, peut-être, pourraient nous aider à échapper au carnage.

Mais tout de même, le tableau laisse ici assez peu de place à la lumière et aux nuances. Et c’est d’ailleurs le petit reproche que nous faisions déjà au précédent spectacle. En effet, l’espoir parvient difficilement à se faufiler à travers le texte, par ailleurs très joliment écrit une fois de plus par Dimitri Lepage. Il arrive, mais quasiment d’un seul jet et un peu tard pour nous permettre de remonter à la surface.
Nous avons toutefois assisté à l’une des toutes premières représentations en amont du festival, le spectacle n’a donc certainement pas fini de grandir et de s’affiner. La performance n’en reste pas moins saisissante, aussi bien dans le jeu que dans le texte, la mise en scène de Jérôme Jacob-Paquay, ou encore la musique. Et cette troupe, dont tous les membres travaillent main dans la main avec passion, générosité et une belle cohésion, mérite d’être soutenue et encouragée pour sa démarche, son propos et son talent.
Les rossignols du carnage, de et avec Mathieu Laviolette & Dimitri Lepage, mise en scène Jérôme Jacob-Paquay, se joue du 4 au 26 juillet 2025 (relâche les lundis) au théâtre Épiscène, à Avignon.
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Avis
Les rossignols, ici, n'annoncent pas le printemps mais nous invitent plutôt à reprendre le pouvoir sur nos comportements, nos choix, nos vies, notamment en nous réunissant les uns les autres, en nous rencontrant, en nous racontant. Le curseur mériterait toutefois d'être ajusté pour arriver à un rendu plus réaliste que pessimiste.