Lancée en 2013 sur la plateforme de streaming Netflix, House of Cards est certainement l’une des séries incontournables de ces dix dernières années. Avec l’arrivée de l’ultime saison, il est temps d’analyser les raisons de son succès, sans perdre de vue sa chute annoncée dès l’année précédente… Attention spoilers sur les 5 dernières saisons.
La fin du rêve américain
Dans un quartier huppé de Washington, un homme sort de sa maison après avoir entendu une collision. Un chien qui vient de se faire heurter par une voiture est mourant. L’homme s’approche, s’agenouille près de lui et se met à nous parler : « Il y a deux types de souffrance : celle qui vous rend plus fort, ou celle qui est inutile, qui n’est que souffrance. Je n’ai aucune patience pour ce qui est inutile. Ce type de situation exige quelqu’un qui agit, qui fera ce qui n’est pas plaisant, mais qui est nécessaire. ». C’est sur ces mots, que l’homme, qui n’est autre que Frank Underwood, met fin aux supplices de l’animal, annonçant par le même coup une forme de noirceur qui lui collera à la peau. À la réalisation du premier épisode (et du deuxième), David Fincher réussit à capter notre attention, en nous présentant un politicien dont le plaisir est de contrôler les êtres vivants, quitte à décider qui doit vivre ou mourir pour servir ses ambitions.
Ce héros antipathique qui nous fascine nous ouvrira bientôt les portes de la démocratie américaine, et du moins de ce qu’il en reste. Tout n’est que corruption et calculs pour atteindre une forme de pouvoir. Si les Underwood sont les maîtres du jeu, aucun personnage n’est épargné et chacun se préoccupe au fond de son propre intérêt en tentant de se servir de la faiblesse des autres. Les scénaristes dressent alors un tableau très noir des institutions américaines à l’heure où la confiance de nombreux Américains dans leur gouvernement n’a cessé de baisser depuis le début du siècle. Tout le monde pouvait y voir un effet de réel à l’égard du politique, renforçant certainement ainsi le succès de la série.
Si les développements des luttes internes au pouvoir sont parfois trop caricaturaux, et certains dénouements peu plausibles (les différents meurtres tout au long de la série), les scénaristes poussent les spectateurs à réfléchir à notre démocratie imparfaite tout en s’intéressant aux personnalités qui la construisent (ou détruisent). Un pari d’autant plus réussi qu’il y a eu un réel dialogue entre la politique de la fiction et celle de la réalité. Mais, devant la dénonciation des dysfonctionnements de ce système, les politiques préfèrent miser sur l’humour. C’est le cas de Bill Clinton qui déclarait au magazine Gotham : « J’adore House of Cards. Kevin, 99% de ce que tu fais dans la série est réel. Le 1% erroné vient du fait que tu ne pourrais jamais faire passer aussi vite une loi sur l’éducation. ». L’ancien président des États-Unis préfère souligner les exagérations des intrigues plutôt que la véracité de certaines problèmes soulevés. Il avait tort, ce dernier pour cent n’est pas forcément erroné, et Manuel Valls l’a prouvé en 2016 en passant la Loi Travail avec l’article 49.3. Un coup de force qui n’est pas passé inaperçu et que s’est empressée de dénoncer la série dans un tweet directement adressé au Premier ministre de l’époque : « Democracy is so overrated. » (« La démocratie est tellement surfaite »).
Se réinventer pour mieux régner
Alors que Franck et Claire Underwood avaient le monde à leurs pieds, leur chute est initiée à la saison 5. Dans un précédent article, nous pointions du doigt la redondance du scénario à travers la réutilisation d’intrigues déjà longuement exploitées. En manipulant à nouveau les vieux démons de Francis (les meurtres commis et sa toute-puissance), Netflix n’avait pas réussi pleinement à nous surprendre. Côté personnages, on avait le même problème, et les petits nouveaux peinaient à avoir notre approbation, n’étant pas assez bien construits (notamment Jane Davis et Will Conway). On regrettait également que les enjeux internationaux n’aient pas eu une place plus importante, alors que ceux-ci avaient été mieux exploités les années précédentes. La faute à qui ? À Donald Trump.
En dénonçant depuis le départ un système malade, les nouveaux showrunners d’House of Cards (Frank Pugliese et Melissa James Gibson remplaçant le créateur de la série Beau Willimon) ne voulaient pas passer, dans cette cinquième saison, à côté de la montée des extrêmes après l’élection de Donald Trump. C’est là l’essence même de ce monologue :
Franck à Claire : « Les Américains ne savent pas ce qui est le mieux pour eux. Moi, si. Je sais exactement ce dont ils ont besoin. Ils sont comme des enfants, Claire. […] Il faut leur apprendre à distinguer le bien du mal, leur dicter quoi penser, quoi ressentir, quoi désirer. Il faut même les aider à définir leurs rêves les plus fous, à visualiser leurs peurs. Heureusement pour eux, ils m’ont moi, ils t’ont toi. ».
House of Cards – Saison 5, épisode 4 « Chapter 56 »
Mais la ressemblance entre Underwood et Trump s’arrête ici, puisque le président d’House of Cards est bien plus réfléchi et diplomate que l’actuel président des États-Unis, et contrairement à lui, il ne se présente pas comme un candidat anti-système. Face à cette tentative de trop vouloir s’inspirer de la réalité (par exemple en rendant l’issu du vote incertain et en soulignant des irrégularités dans l’élection présidentielle), la série s’est repliée sur les USA et sur elle-même en se montrant à court d’idées. Une théorie que vient confirmer l’actrice interprétant Claire, Robin Wright, en expliquant à Variety : « Trump a volé toutes nos idées pour la saison 6. ». Si cette phrase a été dite sur le ton de la plaisanterie, elle est révélatrice du mal qui ronge la série.
Le roi est mort, vive la reine !
La pièce maîtresse d’House of Cards n’est peut-être pas Monsieur, mais Madame, et lorsque Francis l’oublie, celle-ci n’hésite pas à lui rappeler tout ce qu’il lui doit :
Franck : « Je n’aurais jamais dû faire de toi mon ambassadeur aux Nations unies. »
Claire : « Je n’aurais jamais dû faire de toi le président des États-Unis. »House of Cards – Saison 3, épisode 6 « Chapter 32 »
Si leur couple fonctionne un peu de manière malsaine mais globalement égalitaire – comme celui de la marquise de Merteuil et le vicomte de Valmont des Liaisons Dangereuses – leurs privilèges ne sont pas les mêmes. En effet, Franck nous parle depuis le début et nous pensons entretenir une relation privilégiée avec lui, mais du côté de Claire, il a fallu attendre la fin de la saison 5 pour qu’elle confesse enfin qu’elle savait qu’on était là depuis le début. Une confession tellement attendue qu’elle en devient trop tardive nous laissant plein de frustration à l’achèvement de la saison.
Devant tant de regrets sur les épisodes de l’année passée, entamant la chute d’House of Cars, nous aurions tout à craindre de l’éviction de son acteur principal, Kevin Spacey, accusé d’agressions sexuelles. Un des enjeux majeurs sera de faire passer sa disparition dans le monde fictif de la manière la plus plausible et naturelle qu’il soit. Pas une mince affaire donc. Mais là où notre espoir renaît, c’est que la saison finale est contrainte au renouveau. Ce n’était pas celui que l’on attendait, mais c’est celui qui permettrait enfin aux showrunners d’exploiter comme il se doit le quatrième mur de la nouvelle présidente des États-Unis, Claire Underwood.