Un triomphe est une comédie sociale émouvante et vivante où univers théâtral et carcéral se rencontrent à l’abri des clichés.
Inspiré d’une histoire vraie survenue en Suède en 1980, Un triomphe nous emmène dans l’univers carcéral d’une manière assez originale. Faire jouer du Beckett à un groupe de prisonniers : le pari semble ambitieux. C’était d’ailleurs un peu à reculons que ce comédien intermittent au chômage avait accepté d’animer cet atelier. Mais il va rapidement déceler le potentiel en chacun de ces hommes.
Et c’est alors le début d’une aventure enthousiasmante et touchante, de l’autre côté des barreaux. Un casting brillant pour un très joli moment de cinéma.
Une aventure profondément humaine.
Ce film est touchant car il nous fait oublier les prisonniers. Ce sont des hommes que l’on rencontre, des sensibilités personnelles. Et pour Étienne – interprété par Kad Mérad qui livre probablement ici l’un de ses meilleurs rôles – qu’importent les raisons de leur incarcération. Car le sujet n’est pas là. Ces hommes sont des acteurs à ses yeux. Ensemble, ils forment une troupe. Et ce qu’il veut, c’est les aider à retrouver du sens ; les amener à puiser dans leur quotidien de détenus pour incarner leurs rôles ; trouver un espace de liberté à travers l’art.
Si ce projet lui tient tant à cœur, c’est aussi parce qu’il lui permet de donner du sens à son parcours personnel. Car lui aussi se trouve, d’une certaine manière, prisonnier de sa situation – aussi bien sur le plan personnel que professionnel. Alors, bien sûr, il va se heurter aux règles de l’administration pénitentiaire, aux rouages administratifs, au découragement de certains détenus. Mais sa détermination et l’enthousiasme général semblent n’avoir aucune limite. Et on se demande bien où tout cela va les/nous mener !
« C’est l’histoire de deux mecs dans la merde, qui espèrent des lendemains meilleurs. Ça ne vous parle pas ça ?! »
Un triomphe qui sonne juste
En attendant Godot : une pièce absurde, à priori hors de portée pour eux, mais qui trouve pourtant une résonance troublante avec l’univers de ces prisonniers. Car c’est essentiellement d’attente, d’ennui, de monotonie dont il est question dans cette œuvre. Et ils se révèlent touchants et attachants à mesure qu’on les voit s’investir avec leurs tripes dans ces rôles, tandis qu’Étienne les bouscule sans ménagement, convaincu de leur capacité à faire vivre avec sincérité ces personnages.
« Ils jouent faux, mais ils jouent vrai ! » Cette réplique percutante ouvre d’ailleurs une réflexion intéressante sur le jeu théâtral et ce que l’on attend de l’interprétation d’un comédien. À savoir, se dépouiller pour puiser en lui ce qui donnera à son personnage toute sa substance et son authenticité. Et puisqu’on parle d’interprétation, on peut saluer celle de chacun des acteurs de ce casting. Car tous sont parfaitement justes et crédibles dans leurs rôles de prisonniers/apprentis comédiens, et tous se révèlent profondément attachants.
Une comédie sociale tout en finesse
Le ton est juste, le dosage parfait entre émotion, humour et poésie. On est souvent émus par ces comédiens que l’on voit naître, par ces hommes aux caractères bien affirmés qui se connectent à ce qu’ils ont de plus vrai en eux pour se dépasser, se livrer sans masque. Et là où ce film surprend agréablement, c’est qu’il déjoue habilement nos attentes, et ne bascule à aucun moment dans la dramaturgie facile vers laquelle il aurait pu tendre.
Bien au contraire, on rit beaucoup devant le franc-parler de ses hommes, leur spontanéité, leur espièglerie, leur énergie, le lâcher-prise qu’ils s’autorisent parfois et qui nous emmène – en même temps qu’eux – à mille lieux de la prison. Car, qu’il s’agisse de leurs trajectoires de vie ou de leurs conditions difficiles de détention, c’est avec subtilité et dérision parfois qu’elles sont évoquées, sans focus à visée dramatique. Il n’y a de place dans ce film ni pour la pitié ni pour l’indignation. C’est d’espoir et d’humanité dont il s’agit.
L’humain devant le prisonnier
Un triomphe est loin d’être le premier film à s’intéresser à la réinsertion de prisonniers par l’introduction en prison de l’art ou d’autres sortes d’activités. Dans un autre genre nous avions d’ailleurs eu un coup de cœur immense pour le film Nevada, où un prisonnier interprété par l’excellent et magnétique Matthias Schoenaerts voyait son existence bouleversée grâce au dressage de chevaux sauvages. Mais ici, la prison et la violence qui y règnent ne sont pas mis en avant, car ce sont les Hommes qu’Emmanuel Courcol veut mettre en lumière.
Et ils font du bien, ces films qui nous rappellent que l’humanité subsiste en chacun de ces êtres qui ont pris un mauvais chemin. Qu’ils abritent tous une histoire, des espoirs, des doutes, des plaies béantes. Que l’ombre ne peut exister sans source de lumière. Et qu’à ce titre, l’espoir doit rester permis. La question n’est bien sûr pas de justifier ni d’excuser les actes qu’ils ont commis, mais de s’autoriser à croire qu’autre chose de meilleur est possible après. Que l’humanité peut finir par triompher, si c’est elle que l’on porte sur le devant de la scène.
Vous l’aurez compris : on a adoré !