Ayant fait l’évènement lors de la Mostra de Venise, The Testament of Ann Lee est le nouveau film imaginé par Brady Corbet et Mona Fastvold (The Brutalist). Réalisé par cette dernière, ce biopic historique détonnant impressionne autant qu’il déçoit, heureusement porté par l’impressionnante performance d’Amanda Seyfried !
Opérant en sous-marin en tant que cinéastes et scénaristes, Mona Fastvold et son époux Brady Corbet semblent désormais attendus au tournant après le réussi The Brutalist en 2024 ! The Testament of Ann Lee marque ainsi une autre ambitieuse collaboration, cette fois-ci mise en scène par Fastvold. Présenté en Compétition à la Mostra de Venise, ce biopic se déroulant sur près de trois décennies au milieu du XVIIIe siècle nous emmène entre Manchester et New York pour nous présenter l’histoire d’Ann Lee.

Une femme ayant réellement existé donc, née au sein d’une famille et d’un milieu évidemment protestant, et qui rejoindra l’Église des Shakers. Un mouvement religieux dérivé de la chrétienté, pétri de convictions puritaines (désir de vie simple, vœu de chasteté et prohibition de tout acte sexuel) et versé dans des danses rituelles rythmées par des prières chantées.
C’est dans ce contexte qu’Ann Lee (ici incarnée par une édifiante Amanda Seydried) va rapidement devenir une figure centrale de ce mouvement vu d’un mauvais œil par la société de l’époque (d’autant qu’elle ira jusqu’en Amérique pour tenter de rassembler plus de fidèles), alors qu’elle va s’incarner comme la prophétesse annonciatrice du second retour du Christ !
Il était une fois une secte étrange
Un sujet en or massif que ce The Testament of Ann Lee, tandis que le métrage impressionne d’entrée de jeu de par sa tenue visuelle léchée. Tout comme The Brutalist, le métrage est tourné en totale indépendance via un faible budget de 10 millions de dollars. Pour autant, la caméra de Fastvold use à merveille du hors-champ, de quelques matte paintings (pour les rares plans larges de ville), de prises de vue centrées sur des ruelles/intérieurs d’époque, et du département des costumes pour rendre crédible l’immersion dans cette Angleterre rustre d’il y a 300 ans.
De plus, la photographie 35mm pleine de chaleur fait de The Testament of Ann Lee un objet filmique agréable à chaque photogramme pour la rétine. Passées ces considérations techniques, il ne faudra pas bien longtemps pour se rendre compte de la principale faiblesse du métrage : une emphase émotionnelle manquant de focus concernant le cœur de son récit !

Au cours des 2h20 de métrage, le spectateur va ainsi « vivre » plusieurs décennies aux côtés d’Ann Lee (entrecoupées d’ellipses) : d’enfant se faisant châtier par son père pour avoir épié (puis avoir été dégoûté) des ébats de ses parents, la jeune femme va ensuite connaître le traumatisme de quatre naissances se soldant par la mort du nourrisson, et la domination sexuelle (et donc patriarcale) appliquée par son mari Abraham (Christopher Abbott).
Ambivalence d’effets
Le gros point faible de The Testament of Ann Lee résidera cependant dans la substantifique moelle de son récit. En voulant résumer la vie entière de l’une des instigatrices d’un contre-courant culturel et religieux, Mona Fastvold et Brady Corbet loupent le coche pour ce qui est de nous faire ressentir viscéralement les clés de compréhension du mouvement des Shakers.
Certes, la vision traumatique du sexe dès l’enfance ainsi que le questionnement des dogmes chrétiens d’antan mènent Ann Lee vers un chemin alternatif. Mais d’une séquence comique où le spectateur (et le personnage) découvrent pour la première fois les coutumes de cet ordre, la trame passe du coq à l’âne en faisant immédiatement adhérer Ann aux Shakers.

Pire : le ralliement des nouveaux membres, uniquement motivé pendant tout le film par une vérité contestable (à savoir Ann Lee prétextant avoir rêvé du jardin d’Éden) rarement questionnée. Passée la première heure de film, The Testament of Ann Lee s’avèrera donc plus descriptif qu’immersif, au même titre que ces séquences de « comédie musicale » faisant des Shakers une secte aux pratiques plus qu’étranges.
Mais que voulait Ann Lee au final ?
Usant à bon escient des psaumes des Shakers, ces séquences s’avèrent cependant inutilement délayées, quitte à surligner l’émotion recherchée. Même constat pour les passages dansés, dont la scénographie relativement figée peine à faire ressentir l’exutoire physique et spirituel recherché par les personnages. Heureusement, lorsque The Testament of Ann Lee réussit ces séquences (via un travail chorégraphique choral), le résultat est à saluer. On pourra d’ailleurs noter une excellente BO de Daniel Blumberg, aussi à l’aise dans l’élégiaque que dans le médiéval.
On notera d’ailleurs des scènes viscérales d’accouchement n’épargnant aucun caractère graphique, un très beau passage chanté en prison (la caméra se contente d’être plaquée au visage d’Amanda Seyfried, mais cette dernière porte le tout vers le haut), et une violente séquence de répression. Car in fine, il est véritablement question de persécution religieuse dans The Testament of Ann Lee, dommage que la scène qui l’illustre le mieux intervienne presque trop tard. Malgré ses heurts, le résultat global demeure suffisamment singulier et déroutant pour charmer, à défaut de pleinement réussir sa profession de foi !
The Testament of Ann Lee sortira au cinéma en 2026
avis
The Testament of Ann Lee impressionne autant qu'il désarçonne, et affiche une ambition marquée malgré un traitement narratif plus descriptif que réellement incarné. On pardonnera une dimension musicale traitée au chausse-pied ainsi qu'un délayage concernant le traitement de son propos contestataire. Mais le duo Mona Fastvold-Brady Corbet prouve qu'ils ne font pas des films historiques comme les autres, et qu'ils savent diriger un excellent casting (Amanda Seyfried en tête). Plus qu'à espérer une plus grande rigueur narrative et thématique désormais...

