The Fabelmans, trente-sixième long-métrage de Steven Spielberg, voit le réalisateur redevenir scénariste, et aussi un enfant.
The Fabelmans est un projet de longue haleine pour Steven Spielberg, qui évoquait le fait de faire un film sur sa propre enfance depuis maintenant plusieurs années. Un projet personnel, sûrement le plus intime du réalisateur qui redevient ici également scénariste, plus de vingt années après son dernier travail sur AI Intelligence Artificelle. Et après West Side Story, la volonté claire pour le cinéaste de faire revivre un âge d’or révolu, au moment même où le Babylon de Damien Chazelle prophétise la fin du septième art. Mais s’il y avait comparaison à faire avec une œuvre récente, Steven Spielberg se rapproche ici un peu plus du Armageddon Time de James Gray.
Même si le cinéma des deux hommes n’a aucune raison d’être mis en parallèle, l’émerveillement communicatif de la découverte du cinéma présentée par le cinéaste s’entrechoque ici avec des thèmes bien plus sombres. S’éloignant ainsi de la vignette nostalgique et enamourée, comme Armageddon Time, pour aborder, pêle-mêle, l’antisémitisme à une histoire familiale déchirée et déchirante, avec le cinéma et l’art pour fil rouge et véritable dialogue et ouverture au monde d’un enfant passant trop abruptement à l’âge adulte, The Fabelmans prouve ainsi qu’il est, certes pas le chef d’œuvre attendu mais se révèle tout de même être le film intime aussi bouleversant qu’espéré.
Cinémoi
The Fabelmans suit donc Sammy Fabelman et sa quête pour devenir cinéaste au milieu d’une famille aimante, entouré d’un père informaticien (Paul Dano), d’une mère excentrique (Michelle Williams), de ses sœurs et du meilleur ami de son père (Seth Rogen). Et l’émerveillement qu’a su susciter Steven Spielberg tout au long de sa carrière est ici retrouvé, du moins le temps de sa brillante introduction, où sont restitués à merveille la découverte du cinéma, puis l’obsession qui s’en suit pour le jeune garçon de reproduire telle quelle une scène d’accident ferroviaire héritée de The Greatest Show on Earth. Toute la magie du septième art transpire, et le cinéaste semble alors redevenir, comme à l’écran, un jeune garçon, prenant un plaisir évident à revenir à l’essence de son œuvre et de sa vie.
Mais les deux s’entremêlent rapidement pour soudainement troquer l’insouciance de rêves d’enfants avec la nécessité de grandir et de s’apercevoir que le monde n’est pas aussi rose que sur pellicule, et que l’art s’entrechoque avec la vie pour provoquer bien des blessures. Et c’est là que The Fabelmans se mue en un drame aussi sensible que précieux, où le cinéaste se dévoile comme jamais auparavant. En éternel pudique, les blessures ne passent ainsi jamais par les dialogues mais sont imprimées sur pellicule, où les mots perdus se transforment en séances improvisées. Enfouies dans son placard de chambre d’enfant, toutes les petites tragédies familiales explosent, avec pour seul bruit celui du petit projecteur et de larmes ravalées, témoin indélébile de traumas qui le sont tout autant.
Pellicules intimes
The Fabelmans, comme Armageddon Time cité plus haut, ne sont ainsi pas les grandes œuvres attendues mais de très précieuses partitions intimes. Les deux immenses cinéastes que sont Steven Spielberg et James Gray laissent ainsi les clés de leur cinéma et de leurs obsessions dans des projets aussi déchirants que passionnants. Les fantômes du passé, brillamment campés par un Paul Dano tout en retrait et une Michelle Williams qui explose et emporte tout sur son passage, font ainsi de The Fabelmans ce 400 Coups pudique, où à rebours de la noirceur du chef d’œuvre de François Truffaut, le long-métrage de Steven Spielberg fait s’entrechoquer la douceur et la lumière de son cinéma avec les blessures profondes et tues d’une enfance qui troque la merveille pour une morne réalité.
Le cinéma agit ici comme un pansement, pour se faire entendre et s’affirmer, et enchanter un monde qui ne l’est déjà plus. Conte à la fois enchanteur et pétri de blessures intimes, Steven Spielberg se montre ici plus sensible qu’à l’accoutumée, à l’image de son inabouti mais charmant Le Bon Gros Géant. The Fabelmans n’aurait cependant pu être qu’un beau récit autobiographique, sans son récit d’apprentissage, une fois de plus universel, qui tend à montrer que même en se déshabillant de ses atours de faiseurs de rêves, Steven Spielberg reste tout de même ce grand enfant voulant illuminer un monde qui en aura toujours désespérément besoin, dans ce refuge toujours aussi incontournable et précieux que sont les salles de cinéma.
The Fabelmans sortira le 22 février 2023.
Avis
Avec The Fabelmans, Steven Spielberg ne signe peut-être pas le chef d'œuvre attendu, mais une partition plus intime d'autant plus précieuse. En faisant s'entrechoquer l'émerveillement si représentatif de l'essence de son cinéma, le cinéaste, de façon très pudique, lève le voile sur ses blessures, où la pellicule remplace un dialogue perdu. Du cinéma comme pansement et lumière sur un monde trop noir pour les rêveurs, The Fabelmans émeut ainsi en s'adressant au plus grand nombre.