Après avoir endossé le rôle de Robert Oppenheimer, l’acteur oscarisé Cillian Murphy revient à l’affiche de Steve. Un drame marquant, qui nous plonge au sein d’un foyer pour jeunes en difficulté. Bien plus qu’une critique de notre système, Steve est une ode à ces professeurs.
Après une parution en 2023, la nouvelle Shy est adaptée en long-métrage, toujours écrite par Max Porter, mais cette fois-ci devant la caméra de Tim Mielants. Dans la lignée de Tu Ne Mentiras Point, Cillian Murphy retrouve une nouvelle fois le réalisateur dans ce drame produit par Netflix. Nous y suivons la journée de Steve, professeur et directeur d’un établissement correctionnel dans l’Angleterre des années 1990.
Alors qu’une équipe de télévision organise un tournage ce jour-là, on rencontre le corps enseignant et tous les jeunes de l’établissement. “Des jeunes hommes très perturbés”, comme le décrit Max Porter. À leur manière, cette école de correction pour mineurs forme une mini-société, éloignée de tous. Le film est un regard authentique sur le travail pénible et long d’enseignants épuisés.
Steve, un symbole fracturé qui doit garder le cap
En tant que directeur et professeur, Steve endosse un rôle de protecteur, un symbole de force, sans être autoritaire ou agressif. Par son calme et son optimisme, le personnage montre une force inspirante. Derrière ce qu’il montre à l’équipe de télévision ou à ses collègues, Steve a ses failles malgré ses responsabilités : cachant de l’alcool dans un coin secret et négligeant son passé, il voit dans ses jeunes un certain reflet de ce qu’il a pu être, ou est encore un peu.
Et c’est ce qui est marquant dans la confrontation entre le directeur et ses élèves : ces derniers vont parfois le pousser à bout, le provoquer. Mais Steve doit tenir et ne pas vriller. Le focus est ici mis sur le personnage du directeur, alors que dans la nouvelle, le récit est du point de vue d’un élève, Shy. Le but est de montrer une autre perspective, une autre facette. Et à la fois, de maintenir cette séparation.

En une journée, Steve doit affronter de nombreux obstacles. D’abord, l’équipe de télévision, qui distrait les jeunes et perturbe parfois l’établissement, jetant un regard documentaire sur des adolescents jamais mis en avant. Lorsqu’ils l’ont été, c’était pour exposer leurs crimes, ce qui a ravivé frustrations et traumatismes. Ensuite, l’arrivée d’un politicien en visite au foyer ne facilite pas les choses pour les enseignants.
Les adolescents sont dissipés et perturbés face à un homme politique qui ne semble pas se préoccuper de leur vie, mais seulement intéressé par leurs votes futurs. Ce portrait du politique n’est pas anodin : il apparaît le jour du tournage pour profiter des caméras et incarner le regard de la société sur les jeunes en difficulté. Au lieu d’aider, son regard est distancié et rempli de stéréotypes.
Loin des yeux, près du coeur
Dans cet établissement éloigné des autres, les jeunes sont en marge de la société. Ils sont observés comme des animaux par l’équipe de télévision, entre crainte d’être attaqués et goût pour l’étrangeté. Mais ces adolescents essaient seulement d’avancer. On cherche à les canaliser et à les aider à se sociabiliser, mais semble les emprisonner davantage. Les tensions montent vite entre anciens délinquants et élèves en difficulté, et les professeurs doivent travailler avec des jeunes en revendication constante.
Les tensions extérieures et leurs caractères forment un cocktail explosif, menaçant constamment de tout ravager. Les scènes de chahut enveniment la situation, instaurant une sorte de compte à rebours qui peut s’accélérer à tout moment.

Le long métrage nous fait rencontrer des personnalités différentes, avec de nombreux conflits, internes, familiaux ou avec le reste du groupe. Les personnages nous parlent, car ils sont tous différents, avec des traits d’esprit attachants ou complètement repoussants. Les jeunes essayent d’accepter leurs délits et de comprendre pourquoi ils en sont arrivés là. Tous, d’une manière différente, cherchent à se faire pardonner, mais retombent vite dans leurs travers, rompant la confiance que le personnel avait envers eux, et que nous partagions également.
Le film aurait pu bénéficier d’un développement un peu plus long de ses personnages, ce qui aurait permis aux interprètes d’avoir plus de temps à l’écran. L’écriture les fait tout de même exister, en servant surtout à valoriser la performance de Cillian Murphy.
Shy et Steve
Une des têtes principales de cette distribution est Shy, un élève réservé et dépressif qui s’isole en écoutant sans cesse sa musique. Interprété par Jay Lycurgo (qui retrouvera Cillian Murphy dans le prochain film Peaky Blinders), Shy n’est plus le personnage central comme il l’était dans la nouvelle : ici, l’attention est portée sur Steve, sans pour autant négliger le juvénile, qui joue un rôle important.
Shy est le portrait de l’élève mis de côté, différent dans son statut social mais aussi psychologiquement. On suit son sort du début à la fin : délaissé par sa famille, on voit comment tout le système le rejette à son tour. Sa présence au foyer est une descente aux enfers dont il cherche à se libérer, par l’évasion, la musique ou en fuyant le quotidien du lieu.

Pendant tout le film, Steve va s’enregistrer pour témoigner de ses pensées et de ses décisions, un moyen d’abord de ne pas perdre le cap, mais aussi de former ceux qui viendront après lui. On voit à quel point Steve est attaché à ses jeunes, qu’il ne veut pas les abandonner ou les confier à n’importe qui. C’est pour cela que Steve est apprécié au sein de ses collègues, interprétés par Emily Watson, Simbi Ajikawo ou Tracey Ullman. À de nombreuses reprises, son opinion est demandée, sa voix compte pour ceux qui l’entourent. Mais pour lui, il n’est qu’un professeur lambda, qui ne fait rien d’exceptionnel. Son rôle de modèle est une responsabilité de plus à endosser, pour un homme déjà au bord de la crise de nerfs.
Le monde selon Steve
L’un des grands points forts du film est sa réalisation : Tim Mielants filme caméra à l’épaule pour créer une proximité et une intensité avec ces personnages. On s’immisce dans les conversations de Steve avec ses élèves, on voit comment il gère les conflits. Cette réalisation plus intimiste nous rapproche et insiste sur l’intrusion envers Steve. On suit ses moments seul, mais aussi avec les élèves et ses collègues.
La caméra à l’épaule permet de montrer plusieurs facettes d’un même personnage, avec un ton plus réaliste et inclusif. La manière de filmer nous rapproche de ceux qui vivent ici : soit pour enseigner, soit pour survivre au sein de cet établissement. Mais ces deux groupes ne semblent ne pas se comprendre, et cette séparation est nette. Les deux camps se font face, et ça vire souvent à la dispute.

Le film s’émancipe aussi parfois de ses restrictions : il ose des touches d’humour pour créer un décalage avec le ton dramatique. La réalisation passe parfois par des cassettes de faux documentaire ou des prises de vues au drone. Ces séquences se démarquent par le contraste qu’elles créent avec le reste du film. Elles prolongent d’une autre manière le ton sec et chaotique du film, comme si, nous aussi, nous étions prisonniers de l’endroit, de cette narration rythmée par la panique.
Un tempo soigné, et irrégulier
Les cris, les bruits, le vacarme : Tout ce qui fait le quotidien de ces jeunes nous est amplifié. Une journée entière est condensée en seulement 1h32 de film. Le spectateur est confronté à ces moments d’euphorie, à ces bagarres… Le rythme est oppressant, étouffant, et sert à nous plonger dans les conditions de travail difficiles et assourdissantes que peut parfois représenter l’enseignement au sein d’un foyer correctionnel.
Une claque
Le long-métrage réussit à montrer une réalité au plus près des enseignants. On observe leurs conditions au sein d’une école spécialisée, et comment leurs journées, leurs nuits, et même leur temps de repos, sont consacrés à l’enseignement, à ne pas laisser tomber ces jeunes. Steve nous plonge dans un foyer en construction, au sein d’une journée qui nous paraît interminable. Sublimé grâce à la performance de Cillian Murphy, le film est une réussite de plus pour Tim Mielants, qui parvient à nous retranscrire la joie, la rage et la peur au sein d’un drame Netflix de seulement 1h32.
Steve est sorti sur Netflix le 19 septembre 2025.
AVIS
Le long-métrage est une réussite, à la fois critique du système et une ôde aux enseignants.

