L’homme qui vendra le monde est un seul en scène dans lequel un trader cynique vient parler de son métier et des travers de notre monde à une classe de maternelle.
C’est à l’occasion de la cinquième édition du festival 7.8.9 du Théâtre de Nesle que nous avons découvert L’homme qui vendra le monde. L’un des 35 spectacles programmés pendant les 25 jours de ce festival qui s’achèvera le 30 septembre. Ce seul en scène incisif et cynique nous propose une rencontre percutante et insolite entre une classe de maternelle et un trader, venu expliquer son métier, armé de jouets et d’un doudou…
« Il faut comprendre, les enfants, que vous avez tous une valeur dans l’économie. »
Un propos cynique
« Il était une fois, il y a tout plein de dodos… » Ça commence comme une histoire qu’on raconterait le soir à un enfant, avant de dormir. Ça fait sourire, c’est plein de tendresse. Mais ça ressemble plutôt à un cauchemar. Son fils, Néron, c’est ce qu’il a de plus cher. Enfin, après son patrimoine, explique ce requin de la finance à une classe de maternelle (dont nous jouons le rôle). L’argent, la rentabilité, les bénéfices : l’homme en costume cravate, à la posture affirmée mais au regard inquiet, n’a que ces mots là à la bouche. Et les vérités qu’il énonce sont d’autant plus dérangeantes qu’elles sont vraies. Et racontées à travers des mises en scène enfantines où les requins de la finance sont en peluche, où les Playmobils se suicident et où on ne compte plus en dollars mais en doudous.
Une construction efficace
Au milieu des monologues explicatifs et des mises en scène décalées se glissent quelques flashbacks. Ils nous permettent d’en apprendre davantage sur cet odieux personnage, et de nous le rendre attachant. Des moments glaçants pendant lesquels on observe les ressorts du conditionnement, et l’apprentissage du mépris par la figure paternelle. On comprend ainsi mieux comment le rapport à l’argent peut virer à l’obsession, jusqu’à faire perdre pied. On se promène entre le fond et la forme, entre rire et colère, entre tendresse et interrogation à l’égard de cet homme dont on n’est plus très sûr de comprendre qui il est ni ce qu’il fait là. Et à mesure que les minutes passent, le suspense grandit. Et pour cause, quelques rebondissements assez rythmés interviennent dans la dernière partie.
Une pièce intéressante mais un peu tiède
Faire se rencontrer deux univers aussi antagonistes que ceux de la finance et de l’enfance est un procédé détonant et redoutablement efficace. L’homme qui vendra le monde est un spectacle qui informe, dénonce, émeut, fait rire. Mais qui fait tout cela un peu timidement. On aurait aimé que cela aille plus loin dans le cynisme, le contraste, la provocation. Que les émotions soient peut-être moins extériorisées mais davantage ressenties. Que la langue soit un peu plus naïve aussi, car les pauvres bambins ont de quoi être largués à de nombreux moments. On aurait aimé être chahutés, bouleversés, dérangés, parce qu’il y a matière à l’être. Pour autant on ne s’ennuie pas, on apprend des choses, on est tenus en haleine. Et on ouvre les yeux (si ce n’est déjà fait) sur quelques dérives du monde d’aujourd’hui, obsédé par la course au profit.