Sorti en 1989, Pluie noire réalisé par Shohei Imamura ressort en copie restaurée au cinéma. Filmé en noir et blanc, le long-métrage montre avec férocité et tristesse les ravages et les conséquences de la bombe nucléaire lancée sur Hiroshima.
6 août 1945 : un éclair. S’ensuit le chaos, la destruction, le feu, les corps pourris, calcinés et la mort indescriptible et absurde de milliers d’âmes en un battement de cils. Hélas, ce n’est que le début. Dans les années à venir, la plupart des personnes ayant survécu à l’explosion vont mourir de ce qu’ils surnomment la maladie de « l’éclair ». Pour ramener cet événement à l’échelle d’une famille, Imamura raconte la vie d’une famille (une jeune femme qui vit avec son oncle et sa tante). Cette dernière incarne le destin brisé des habitants de la ville.
Filmer l’infilmable
À la manière de Raging Bull de Scorsese, ou encore de Psychose d’Hitchcock, on pourrait croire que le noir et blanc sert une nouvelle fois à atténuer la violence des images. Néanmoins, la déambulation de la famille dans Hiroshima le lendemain de la bombe est sidérante par sa brutalité, l’absence de retenue et surtout par l’utilisation intelligente de l’ironie dramatique – procédé qui consiste à se baser sur les connaissances du spectateur. Car dans le cas d’Hiroshima, on est bien entendu bien plus informé dans les années 80 (ou maintenant) que lors de l’attaque de la ville. Les gens se baignent, boivent de l’eau contaminée, traversent la ville entière pour chercher un abri sans savoir qu’ils traversent un champ de mines invisibles qui exploseront quelques années plus tard dans leur corps. La terreur des images n’en est que décuplée.
L’après Hiroshima
Homme comme femme, vieux comme jeune, meurent les uns après les autres dans les années qui vont suivre le drame. C’est le constat dramatique proposé par Imamura – et par l’auteur du roman éponyme dont le film est inspiré, Masuji Ibuse – qui culmine dans une scène finale splendide, dont on se gardera bien d’en expliquer la teneur. Par bien des des aspects, les péripéties de la famille quelques années après la bombe rappellent le cinéma d’Ozu – entre autres, un récit où le seul but de l’oncle est de tenter de trouver un mari pour sa nièce. Sauf que cette famille n’a rien de « normal » comme chez Ozu. La jeune femme a été touché par la pluie noire (radioactive), ce qui rend impossible sa recherche d’un mari. Or dans une société patriarcale, début des années 50, c’est un drame tout aussi grand que la maladie pour elle et sa famille.
Sans détour, on peut déclarer que Pluie noire n’est pas un film facile à regarder, mais il pousse viscéralement le spectateur à réfléchir sur un événement terrible de notre histoire commune et sur son impact afin de peut-être (c’est pas gagné) d’éviter un nouveau drame absurde de cette ampleur. 75 ans après le message est limpide : il est important de ne pas oublier. À bon entendeur…