La fuite est une comédie dramatique haute en couleurs qui interroge notre capacité à accepter et à assumer nos erreurs.
La fuite, de Ciro Cesarano et Fabio Gorgolini, est inspirée de la dernière pièce achevée du Prix Nobel sicilien, ‘On ne sait comment’. Une pièce formidablement rythmée et portée par d’excellents comédiens, qui nous offre l’un de nos meilleurs moments de théâtre de cette fin d’année !
Le restaurant de Nicola est au bord de la faillite et ce dernier ne sait plus comment échapper à ses dettes ni à toutes les catastrophes qui se succèdent. Même ses propres employés vont manger dans le restaurant d’à côté, « Chez Mario » ! L’espoir renaît pourtant lorsqu’on fait appel à lui pour organiser un repas de mariage pour 40 personnes. Mais malgré l’aide des deux cuisinières, Béatrice et Ginevra, rien ne va se passer comme prévu. Surtout lorsque débarque Roméo, le mari de Béatrice. En proie à une soudaine jalousie, ses propos confus laissent planer une suspicion de folie qui dissimule en fait une toute autre réalité…
Un réalisme saisissant !
C’est une bien belle découverte que nous avons faite au Théâtre 13 Glacière, lieu par ailleurs fort agréable. En effet, quel bonheur de voir une pièce aussi juste ! Rien ne semble joué, rien n’est superflu. C’est simple : on en oublie complètement que nous sommes au théâtre. On a plutôt rapidement l’impression d’observer de véritable scènes de vie à travers l’entrebâillement de la porte d’une cuisine de restaurant !
Cette authenticité troublante est le résultat d’un travail réussi sur tous les plans. À commencer par le jeu des comédiens, aussi naturel que précis, aussi bien dans leurs intentions que dans le moindre de leurs gestes. Aucune fausse note non plus pour ce qui est du décor – superbe et minutieusement détaillé – de cette cuisine plus vraie que nature, et de la mise en scène très enlevée. Sans oublier le chien, dont on ne fait qu’entendre les aboiements mais dont la présence se fait véritablement sentir.
Une comédie à l’italienne
Pour autant, ce réalisme ne nous empêche pas de voyager de bien des manières ! Déjà, il y a ce délicieux accent italien qui ensoleille naturellement la pièce. Il y a aussi nos émotions qui naviguent entre le comique de certaines situations – notamment amené par le personnage de Nicola – et le trouble dans lequel nous plonge progressivement le mal-être intérieur de Roméo, jusqu’à provoquer une véritable tension.
Et puis, n’oublions pas ces plats qui se préparent sous nos yeux tout au long de la pièce et font également frémir (puis parfois fuir !) nos papilles ! Car, l’air de rien, ça découpe, ça cuit, ça mélange, ça épluche (avec une technique aussi drôle que mémorable d’ailleurs ! ), et tout cela avec beaucoup d’énergie et de fluidité. L’histoire, quant à elle, nous emmène bien plus loin qu’elle n’y paraît à première vue, et mêle habilement humour et drame. Le dosage est parfait, la recette prend avec finesse et on se régale.
Du rire au questionnement philosophique
Ciro Cesarano interprète à merveille ce Nicola, personnage tendre et drôle à la fois dont les excès, les maladresses et les contradictions portent à eux seuls les savoureuses notes d’humour de cette pièce. Fabio Gorgolini est quant à lui troublant dans le rôle de Roméo tant ce dernier semble habité, aussi bien par ce qui s’apparente d’abord à de la folie que par le traumatisme du souvenir qu’il nous conte ensuite.
En effet, c’est dans un état de transe qu’il nous parle de l’inconscience de certains de nos actes ; de ce qui se passe sans que nous l’ayons voulu ni décidé et que nous ne devrions alors pas être contraints d’assumer. D’abord déroutants, ses propos se révèlent finalement moins décousus qu’il n’y paraissent à mesure que les faits concrets auxquels ils se rattachent nous apparaissent.
« Ça arrive ! On ne sait pas comment mais ça arrive ! »
Ainsi, l’intrigue qui se tisse peu à peu nous met face aux tourments de l’âme humaine. Le propos est profond, universel, et nous amène autant à la réflexion qu’à l’introspection. Il est question de la responsabilité de nos actes, de secrets enfouis et de la manière dont chacun tente d’y faire face et de s’arranger avec sa conscience : par le déni, la minimisation, la fuite, ou encore la folie. Et les doutes, les angoisses et les fragilités de ces personnages attachants sont finalement les nôtres. Un spectacle drôle et intelligent à ne surtout pas manquer !
La fuite, d’après ‘On ne sait comment’ de Luigi Pirandello, écrit par Ciro Cesarano et Fabio Gorgolini, mis en scène par Fabio Gorgolini, avec Ciro Cesarano, Fabio Gorgolini, Laetitia Poulalion, Boris Ravaine ou Gaetano Festinese, et en alternance Audrey Saad ou Amélie Manet, se joue jusqu’au 19 novembre 2021, du mardi au samedi à 20h, et le dimanche à 16h, au Théâtre 13 Glacière.
[UPDATE 2022] Se joue du 07 au 30 juillet 2022 au Théâtre de l’Alizé au Festival OFF d’Avignon.
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