Killer Joe nous emmène au sein d’une famille paumée qui embauche un tueur pour se débarrasser de l’un de ses membres.
Killer Joe est la première adaptation en France de la pièce culte de Tracy Letts, créée à Chicago en 1993, et portée à l’écran par William Friedkin, avec Matthew McConaughey, Emile Hirsch et Juno Temple. Une comédie noire qui vous glace le dos et ne vous lâche pas du début à la fin. Mais pas tout public.
Sauver sa vie coûte que coûte
Le pitch, déjà, est accrocheur. Chris doit sauver sa peau face à des dealers de drogue bien décidés à récupérer leur argent. Argent qu’il n’a plus… mais qu’il sait où trouver puisque sa mère possède une assurance vie à 50 000 $ ! Ses relations avec elle étant plus que tendues, la solution lui apparaît très vite évidente : il va la faire assassiner pour toucher le pactole.

Pour cela, il fait appel à Joe Cooper, flic le jour, tueur à gages la nuit. Mais celui-ci exige d’être payé d’avance. Puisque la famille n’en a pas la possibilité, c’est la jeune sœur de Chris qui fera office de monnaie d’échange… Et, bien évidemment, pour ce qui est du consentement, on repassera… Comme on peut s’y attendre, cette fausse bonne idée va entraîner toute la famille dans ce qui va se transformer en véritable cauchemar.
Killer Joe : une pièce sans concession
Autant poser ça tout de suite : c’est une pièce sombre, violente, dérangeante, certainement pas faite pour le jeune public. Elle est d’ailleurs déconseillée aux moins de 16 ans, ce qui est plutôt rare au théâtre. En effet, si le filtre de la télévision crée une distance avec les images que l’on voit (ce qui n’a pas empêché le film d’être interdit aux moins de 12 ans au cinéma, et déconseillé aux moins de 16 ans à la télé), ce n’est pas le cas lorsqu’on se retrouve devant la scène d’un théâtre.

Et, on doit le reconnaître, l’expérience est ici très troublante. Notamment lors de quelques scènes particulièrement violentes qui nous plongent dans une Amérique bien loin de l’American dream, dans une famille hyper border qui navigue entre bêtise, vulgarité et cruauté, et surtout dans un milieu et une époque où la place des femmes était autant un sujet que celle du réfrigérateur (à moitié cassé et uniquement rempli de bières, d’ailleurs)…
Un moment de théâtre unique
Plus que n’importe quelle autre, une pièce de ce genre ne laisse place à aucune erreur de casting. Et, en cela, c’est mission complètement réussie. Benoit Solès embrasse avec beaucoup de charisme ce rôle très différent de ce à quoi il nous a habitués dans La machine de Turing ou La maison du loup. Le comédien aux 3 Molières est un Killer Joe glaçant et imperturbable face à cette famille pauvre et paumée du Texas, incarnée avec un talent bluffant par trois comédiens épatants.

Rod Paradot, Molière de la révélation masculine pour Le Fils, de Florian Zeller, est Chris, ce fils dealer tout en nerfs qui vient tambouriner à la porte de chez son père pour demander de l’aide et soumettre son plan sordide. Dans la peau de sa délurée de belle-mère, Sharla, qui finit par venir lui ouvrir, à moitié nue, Pauline Lefèvre est parfaite. Tout comme Olivier Sitruk, que l’on peut également voir dans Dolores, et qui joue ici Ansel, un père plus préoccupé par la télé que par les problèmes de son fils. Dans le rôle particulièrement difficile de la petite sœur de Chris, Dottie, Carla Muys est éblouissante. La candeur de son personnage tranche avec la violence brute dans laquelle elle se retrouve projetée.

Il faut également citer Neil Chablaoui, qui accompagne à merveille certaines scènes à la guitare électrique, rendant ainsi l’ensemble encore un peu plus intense et hypnotique. Sa présence est une excellente idée ! Vous l’aurez compris, la tension est palpable d’un bout à l’autre. Également grâce à la mise en scène de Patrice Costa, à ce décor très réussi et immersif, ainsi qu’aux jeux de lumière et aux costumes. Une expérience théâtrale vraiment unique et mémorable, dont la quasi-perfection de la réalisation laisse deviner un travail phénoménal.
Killer Joe, de Tracy Letts, adaptation Patrice Costa et Sophie Parel, mise en scène Patrice Costa, avec Benoit Solès, Rod Paradot, Pauline Lefèvre, Olivier Sitruk, Carla Muys, avec la participation musicale de Neil Chablaoui, se joue du 9 octobre au 4 janvier 2026 au Théâtre de l’œuvre.

Avis
Si vous aimez la douceur, la poésie, passez votre chemin. Car ici, rien n'est suggéré, édulcoré, adouci. La violence est montrée, frontalement, impossible de détourner le regard. L'issue, aux airs de bouquet final de feu d'artifice et assez peu réaliste, vient légèrement dissiper le malaise en remettant la fiction au centre. Mais quelle claque !

