Réalisé par Delphine et Muriel Coulin, Jouer avec le feu est un drame viscéral qui explore la radicalisation politique et son impact sur la famille, avec en prime un Vincent Lindon au sommet de son art. Magistral !
Pierre, cheminot veuf, élève seul ses deux fils : Louis, l’aîné studieux et prometteur, et Fus, le cadet rebelle qui sombre peu à peu dans une idéologie d’extrême droite. Porté par la vision des réalisatrices Delphine et Muriel Coulin, Jouer avec le feu développe les fractures familiales et les tensions idéologiques d’une société au bord de l’explosion avec la montée de la radicalisation. Un must see, autant terrifiant que nécessaire.
Réalisé et adapté du roman Ce qu’il faut de nuit de Laurent Petitmangin par les sœurs Coulin, Jouer avec le feu, focalisé dans le territoire lorrain, s’inspire d’histoires vraies et d’enjeux sociaux importants à l’heure tragique où les partis d’extrême droite se multiplient (et obtiennent des soutiens affichés de milliardaires comme Elon Musk). Un film engagé, social (sociétal même) et poignant qui n’oublie pas, à couvert de son discours politisé, de poser des questions essentielles sur l’amour, la transmission et le dialogue face à l’irréparable.
Désintégration
« Je ne reconnais plus mon fils, mais je sais qu’il est là, quelque part », confie le papa (Vincent Lindon) à son fils accepté à la Sorbonne (Stefan Crepon) dans un moment de désespoir à propos de son autre enfant, Fus (Benjamin Voisin). Cette phrase, toute simple mais dévastatrice, illustre parfaitement la douleur d’un père face à une incompréhension qu’il ne parvient pas à mesurer. Les silences parlent autant que les mots dans ce drame oppressant et la maison familiale devient un théâtre de confrontations amères, où l’amour paternel inconditionnel se confronte au rejet d’idées révoltantes.
Mais Jouer avec le feu n’est pas qu’un film sur une famille en crise, c’est aussi un miroir tendu à notre société, un appel à la réflexion sur les fractures qui nous divisent. À l’image de American History X, il ne s’agit pas simplement de dénoncer la radicalisation, mais de comprendre ses racines, ses mécanismes et ses conséquences. En se demandant jusqu’où peut-on aimer ou comment peut-on renouer avec ceux qui nous rejettent (ainsi que nos idées), le métrage nous pousse à nous interroger sur notre capacité à pardonner, mais surtout, à aimer, contre vents et marées.
Burning Men
Vincent Lindon, dans le rôle du père, est une véritable force de la nature qui parvient, via son jeu en retenue mais volcanique, robuste mais vulnérable, à exprimer avec brio l’impuissance et la détermination d’un homme qui refuse de baisser les bras. Sa prestation, d’une sincérité folle (pour laquelle il a d’ailleurs remporté le prix du meilleur acteur à la Mostra de Venise en 2024), lui permet de retrouver son éternelle facette du working-man à la résilience sans faille, dans la lignée de ses rôles dans La Loi du Marché ou Titane, où il incarnait déjà des personnages à bout de souffle mais jamais totalement brisés.
Plus discret mais indispensable à la narration, Stefan Crepon apporte une lumière apaisante et une profondeur empathique au récit. En incarnant un fils qui tente désespérément de comprendre son frère et en faisant office de tampon avec leur père désemparé, il offre au spectateur un point d’accroche bienvenu dans ces vies brisées.
Surtout que pour clôturer ce trio monstrueux, on a Benjamin Voisin, dans le rôle de Fus, bluffant à chaque instant, notamment lorsqu’il alterne entre rage explosive et fragilité désarmante. Si ses actes et ses discours nous choquent, le personnage n’est jamais enfermé dans un stéréotype. A l’inverse, ce sont plutôt ses blessures invisibles qui le poussent dans cette direction, rendant son glissement aussi tragique qu’effrayant, et pertinent. À travers son regard, on devine la solitude, le besoin d’appartenance, mais aussi l’incapacité à trouver un sens à sa vie.
Firestarter
Car c’est là que réside la force de Jouer avec le feu : son refus du manichéisme. Fus n’est pas simplement un jeune homme égaré par la haine, mais un être humain broyé par des frustrations qu’il ne parvient pas à exprimer autrement. Ce portrait nuancé est renforcé par la dynamique avec son frère aîné, qui tente tant bien que mal de dialoguer avec lui. Louis, figure de raison et d’empathie, incarne une lumière vacillante dans cet univers de tensions et c’est leur relation, à la fois tendre et explosive, qui ajoute une belle plus-value émotionnelle qui transcende le cadre même du film.
En choisissant de tourner en lumière naturelle et en multipliant les gros plans, Delphine et Muriel Coulin nous plongent dans l’intimité des personnages. La caméra, toujours à hauteur d’homme et en longue focale, capte de façon réaliste et introspective les silences lourds, les regards qui trahissent l’angoisse, et les confrontations verbales où l’amour se dispute à la colère. Le décor oppressant de la maison familiale s’humanise et devient le symbole d’une vie normale en voie de dislocation, tandis que la banlieue ouvrière lorraine, grise et étouffante, reflète l’impasse dans laquelle se trouvent les personnages. Un microcosme, où les espoirs d’ascension sociale semblent éteints, favorisant la montée de la colère et de la radicalisation. L’occasion pour le film, au rythme lancinant, presque lent, de lorgner vers le documentaire et d’arborer une authenticité poignante.
Porté par des performances d’acteurs magistrales et une mise en scène d’une rare sobriété, Jouer avec le feu est une œuvre intense et profondément humaine, une leçon d’amour et de courage. Inoubliable.
Jouer avec le feu est sorti le 22 janvier 2025.
avis
Jouer avec le feu est une flamme vive qui éclaire les zones d’ombre des relations humaines. Porté par un trio d’acteurs magistraux et une mise en scène très réaliste, le film est une expérience sociale et politique inoubliable.