Cicatriciel est un spectacle intime sur l’intersexuation, une prise de parole forte et nécessaire.
En regardant son corps, Sarita Vincent peut suivre la route cicatricielle : une carte où iel retrouve les lignes d’une vie marquée par les interventions chirurgicales. Là une cicatrice, là une autre, elles se rejoignent, se croisent, et ces autoroutes sont pour lui le moyen de savoir qu’iel n’a rien rêvé, qu’iel n’est pas folle, qu’iel a tout vécu : chaque souffrance, chaque opération, chaque torture, chaque mutilation. Son corps s’en souvient et s’en souviendra toujours, elle qui a été le réceptacle d’une exploration médicale non-consentie.
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Intersexe, un mot pour me dire
Sarita Vincent Guillot est une personne intersexe – « les personnes intersexes présentent des caractères sexuels primaires et ou secondaires innés ne correspondant pas aux définitions traditionnelles du masculin et du féminin » – assignée garçon, mais surtout « monstre« , à la naissance. A ses sept ans, iel a subi une première opération chirurgicale dans le but de valider son assignation sexuelle. S’ensuivit une dizaine d’autres durant l’enfance, des actes médicaux dont iel ne connaît pas les détails. Ils ont simplement été. Sarita a découvert à 37 ans qu’iel n’était pas seul·e au monde, que les personnes intersexes constituaient 1,7% de la population.
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Son récit de vie, Sarita Vincent l’a écrit à la suite d’une rupture amoureuse. Confronté·e une nouvelle fois à l’abandon, iel a décidé de parler de tous ceux vécus durant son existence. Son texte autobiographique alterne entre le passé et le présent, l’âge adulte et l’enfance, les longs séjours à l’hôpital et les convalescences à la maison. Sarita Vincent se confie à travers un long monologue, intime et bouleversant ; si on n’avait pas su que toute cette histoire était vraie, on aurait sûrement eu du mal à y croire.
Un presque seul·e en scène
Sarita Vincent ne joue pas son propre rôle, interprété par le comédien Vincent Bellée qui parvient à s’approprier ce personnage avec habileté et finesse. Il raconte cette histoire en alternant entre de vives émotions, sans pour autant les surjouer. Il gardera toujours ce petit air facétieux qui permet de dédramatiser ses paroles, de les faire résonner sans pour autant trop les faire peser. Pendant près d’une heure vingt, il nous tient accroché à ses mots, nous présentant « petit fantôme » – cette deuxième moitié de lui qu’on a tuée dans son enfance – dialoguant avec d’autres personnages. On retrouve également à quelques occasions des voix off qui rythment le récit, notamment celle d’une femme lisant la dernière lettre écrite par sa mère avant de mourir ; une prise de parole particulièrement forte, captivante et poignante.
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Sur scène se tient à ses côtés la musicienne et chanteuse Anne-Laure Labaste. Ses compositions, principalement constituées d’un tapis d’arpèges électros sur lesquelles planent de longues notes tenues de sa voix éthérée, s’élèvent derrière la voix du comédien et nappent le spectacle de sons envoûtants. Les lumières, parfois bleutées ou rougeoyantes, la fumée et les nombreuses plantes installées en fond de scène intensifient cette ambiance enveloppante et (faussement ?) apaisante. On est plongé au cœur de cette quête de soi solitaire.
Cicatriciel est un spectacle douloureux d’une vie marquée par la souffrance. Un monologue qui met plus largement en lumière les personnes intersexes, à travers la parole de Sarita Vincent Guillot.
Cicatriciel, écrit par Sarita Vincent Guillot et mis en scène par Yann Dacosta, avec Vincent Bellée et Anne-Laure Labaste, se joue du 2 au 21 juillet 2024 à 17h au 11.Avignon.
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Avis
Cicatriciel revient sur le récit de vie, de lutte, de Sarita Vincent Guillot, une personne intersexe assignée garçon à la naissance. Un spectacle intime sur une quête de soi interprété avec justesse par Vincent Bellée.