Après le chaos est un seule en scène dans lequel une mère apprend que son fils est victime et responsable d’une impensable tragédie.
Après le chaos tente de poser des mots sur l’impensable, l’indicible, l’inacceptable. Face à nous, c’est une mère qui se tient debout ou presque, qui tente en tout cas de garder l’équilibre tandis que sa vie est en train de basculer. La sienne, et celle de sa famille qui vient de perdre l’un de ses membres. La sienne, mais aussi celles de dix-neuf autres familles amputées d’un enfant par… son propre fils, victime et bourreau. Un seul en scène poignant et profondément humain.
Un voyage au cœur de l’intime
19 morts, c’est la bilan d’une effroyable tuerie dont nous ne saurons pas grand chose de plus. Car ce n’est pas là que cette pièce nous emmène, mais dans ce qui devient brutalement la réalité d’une mère à qui l’on apprend l’horreur absolue. Une réalité dans laquelle tout explose et part en lambeaux, le quotidien, la famille, le cœur.
Il y a d’abord les larmes qui ne viennent pas, l’esprit qui cherche à fuir l’insoutenable, à s’échapper dans un souvenir, dans n’importe quoi pourvu que rien de tout cela ne soit jamais arrivé, qu’il ne s’agisse que d’un cauchemar. Jusqu’à ce cri qui vient briser le déni. Son fils est mort, et pourtant cette tragédie n’est pas la pire. Son fils est un meurtrier. Aucun parent n’est préparé à ça. Qui pourrait seulement l’imaginer une seule seconde ? Qui pourrait savoir quoi faire, quoi dire, quoi espérer après ça ?
Une vie en apnée
C’est une double condamnation qui s’abat alors sur cette mère. Celle du chagrin d’abord, d’un deuil démesurément lourd à porter, de ses deux autres enfants, « ceux qui restent », qu’il lui faut tenter de préserver sans savoir comment, de toutes ces questions qui grondent à l’intérieur, lacérant peu à peu ce qu’il reste de vivant en elle… Qu’aurait-elle du faire autrement ? Qu’a-t-elle manqué ?
« C’est à ce moment-là que j’ai compris que je passerais le reste de ma vie à m’excuser. »
Et celle de la culpabilité. Une culpabilité que la société toute entière n’aura alors de cesse de lui faire porter, à commencer par les policiers avec leurs suspicions et leurs propos indécents. « Ils ont remué nos vies, cherché nos erreurs, nos errances, nos faiblesses. » Les journalistes aussi, qui guettent, qui envahissent, avides du moindre débordement qui viendrait alimenter un peu plus encore la tragédie… Et puis tous les coups de fil anonymes, les insultes, la haine, les menaces qui retirent à cette mère le droit de pleurer son meurtrier de fils… mais son fils tout de même.
Une interprétation magistrale
Véronique Augereau est magnifique, bouleversante dans le rôle de cette mère dévastée dont la souffrance est jugée illégitime et dont les nerfs menacent à chaque instant de lâcher ; de cette femme qui en arrive à se réjouir du coup de téléphone d’un démarcheur pour le répit inespéré qu’il lui offre de n’être soudain plus la mère d’un meurtrier, de n’être personne en particulier. Quelques secondes dans lesquelles la banalité d’un quotidien auquel elle n’a plus droit refait surface.
Sur un plateau quasiment nu, dépouillé comme l’est désormais cette famille qui se désagrège, elle nous livre avec beaucoup d’humilité ce monologue poignant et superbement écrit par Élisabeth Gentet-Ravasco. Deux panneaux sur lesquels la vidéo de Fanny-Gaëlle Gentet projette des nuages, de la pluie, et d’autres décors abstraits et suggestifs viennent ajouter à l’atmosphère de chaos en même temps que la création musicale originale du groupe Avant l’aube. La mise en scène minimaliste de Stéphane Daurat, quant à elle, permet à ce témoignage de résonner avec un réalisme confondant.
La sincérité, l’intensité, la douceur parfois aussi avec lesquelles la comédienne habite ce rôle viennent nous étreindre, et l’émotion ne nous quitte jamais, jusqu’à un dénouement qui nous coupe le souffle. Un moment de théâtre beau et puissant.
Après le chaos, de Élisabeth Gentet-Ravasco, mise en scène Stéphane Daurat, avec Véronique Augereau, se joue jusqu’au 20 juin 2023, les lundis et mardis à 19h, au Studio Hébertot.
[UPDATE 2023] Se joue du 07 au 29 juillet, à 11h40, au Théâtre des Corps Saints au Festival OFF d’Avignon.
Retrouvez tous nos articles consacrés au Festival Off d’Avignon ici.
Avis
Cette pièce d'une grande humanité nous livre un point de vue rare, celui de la souffrance qui frappe les familles de meurtriers. Une souffrance dont personne ne veut entendre parler et qui, pourtant, nous percute ici en plein cœur, sans pour autant nous ensevelir. Une performance saisissante.