Coup de tête est une comédie aussi atypique qu’incontournable, qui se sert du football pour égratigner la célébrité.
Coup de tête est sorti en 1979, soit une éternité. De plus, aux côtés de succès populaires incontournables sortis la même année tels que Les Bronzés font du ski (près d’1,6 millions d’entrées) et du Gendarme et les Extra-Terrestres (près de 7 millions de spectateurs), la comédie de Jean-Jacques Annaud faisait bien pâle figure avec ses 300 000 entrées. Pourtant, si la saga de Louis de Funès a irrémédiablement vieilli, surtout lorsque l’on évoque le sixième opus d’une franchise à bout de souffle, comme Les Bronzés font du ski, Coup de tête n’a absolument rien perdu de sa verve et de son audace. Retour sur une comédie qui se sert du foot comme un terrain de jeux noir et jouissif passant au lance-flammes la célébrité et la bourgeoisie.
Le fond du but
Coup de tête, c’est l’histoire d’un certain Francis Perrin, footballeur loser rejeté par toute une ville, et injustement accusé de viol. Un nom qui vous est sûrement familier, parce que l’on retrouve un certain Francis Veber au scénario. Ce nom a ainsi été utilisé de nombreuses fois dans ses films, réalisés où non par lui, se trouvant successivement interprété par Pierre Richard (Du Grand Blond à La Chèvre), Jean-Pierre Marielle (Cause toujours, tu m’intéresses), et Patrick Bruel (Le Jaguar). Patrick Dewaere, dont c’est la seule incarnation, livre ainsi un jeu jouissif et vengeur, bien plus noir que les autres évocations du personnage. Parce qu’il passe du statut de celui que l’on jette en prison à celui qu’on acclame grâce à deux buts, la victoire aura pour lui, comme pour nous, une toute autre saveur.

Parce que Coup de tête n’est pas tant un film sur le foot qu’une vision désabusée sur le simulacre qu’est la célébrité. Une vision qui a déçu nombre de spectateurs, qui s’attendait à un film sur le ballon rond, quand la presse d’alors acclamait cependant un Jean-Jacques Annaud pas encore aux portes d’Hollywood, et un Patrick Dewaere que mes producteurs voyaient plutôt remplacé par Gérard Depardieu. Si le réalisateur signe ici son meilleur long-métrage, l’acteur aligne aussi l’une de ses meilleures prestations avec l’incontournable Série Noire d’Alain Corneau, sorti la même année. Autour de ces noms prestigieux, on retrouve aussi pêle-mêle, Pierre Bachelet à la composition, pour un air devenu culte, et un certain Guy Roux qui officie en tant que conseiller technique sur le film. Mais ce n’est (heureusement) pas tout.
Ballon d’or noir
Coup de tête est ainsi le récit d’une vengeance. Une vengeance, qui, selon les mots du réalisateur « n’est pas un plat qui se mange froid, mais un plat mais qui ne se mange pas« . Ayant voulu coller au plus près de la réalité, en suivant nombre d’équipes locales (et plus particulièrement celle d’Auxerre), écumant bus et vestiaires, le scénario de Francis Veber paraît ainsi comme son plus désenchanté, et aussi son plus chabrolien. On y observe ainsi la mainmise d’une bourgeoisie provinciale pourrie jusqu’à la moelle, menée par un patron d’usine campé par le formidable Jean Bouise, justement consacré du César du meilleur second rôle. Si l’on s’attend à un déferlement de violence en suivant l’interprétation de jeune chien fou de Patrick Dewaere, l’intelligence de Coup de tête atteint ainsi son sommet lors d’une scène de repas magistrale où toutes les vérités sont lâchées, et les masques tombent un à un.
Une violence des mots, de la petitesse humaine, et un film qui pourrait très bien se servir d’un autre milieu que celui du football pour délivrer son message, et rester tout aussi contemporain en prenant, par pur hasard, comme fil conducteur, celui de notre chère télé-réalité. Parce que Francis Perrin n’est finalement qu’un reflet de tous ces inconnus déclassés, ignorés et moqués, trouvant grâce aux yeux du monde le temps d’un bref instant sous les projecteurs éblouissants d’une célébrité factice. « J’entretiens onze imbéciles pour en calmer huit cents, qui n’attendent qu’une occasion pour s’agiter », lâche ainsi le directeur. De la poudre aux yeux et un spectacle résolument désenchanté où ceux qui tiennent les ficelles s’abreuvent d’un jeu pour manipuler les foules et dissimuler leurs vraies, et bien plus cruelles intentions.
Coup de cœur
Patrick Dewaere se battait à l’époque contre le petit écran, où il refusait de « se mettre à genoux » et ainsi de faire de la promotion de ce qu’il considérait alors comme d’un média payé pour parler en bien de certains films. Un combat qui paraît lui aussi toujours sonner juste face à ce média vieillissant, malgré le fait que Coup de tête, lors de sa première diffusion sur petit écran, rencontrera un succès bien plus large qu’en salles. Certains aspects du film ont cependant affreusement vieilli, comme l’utilisation du terme viol pour illustrer un adultère, et une scène d’abus sur un échafaudage. Le traitement d’une victime, directement confrontée à ses agresseurs, sans murs ni miroir, fait aussi froid dans le dos.

Il reste cependant de Coup de tête bien des thématiques qui tirent toujours aussi juste aujourd’hui. En pleine période d’une Coupe du monde très justement polémique, et à l’heure où le gouvernement semble retarder une réforme des retraites très dangereuse au moment même où les Bleus brillent sur le terrain, la comédie de Jean-Jacques Annaud a ainsi des airs de film politique à l’actualité brûlante. L’occasion de plus, s’il en manquait une, de voir ou de revoir Coup de tête, et d’en prendre un, aussi salutaire qu’efficace, d’une comédie qui n’a décidément rien perdu de sa verve et de son acuité.