Le Comte de Monte-Cristo s’empare du chef d’œuvre de Dumas et remonte le fil de l’histoire de manière déconstruite, rythmée et brillante.
Le Comte de Monte-Cristo, vraiment ? Cette adaptation de Véronique Boutonnet qui se joue avec succès depuis 2015 à Paris ? Celle-là même, oui ! Il était temps en effet ! Il nous aura fallu découvrir cette merveilleuse comédienne aux côtés de Victor Duez dans son adaptation de Maupassant, Une vie, l’un de nos coups de cœur de cette année, pour nous pencher enfin sur le reste de son travail.
« Me cogner à cette écriture pour en faire du théâtre, me frotter à cette montagne pour en sortir un spectacle était pure folie. Mais sans folie je n’avance pas. Je m’endors. »
Véronique Boutonnet
Ici, l’enjeu est ambitieux. Il s’agit d’adapter l’une des œuvres les plus denses de la littérature en une heure trente. Jeté par des traîtres au fond d’un cachot pendant quatorze années et miraculeusement libre, considéré comme mort par ceux qui l’ont aimé et haï… Dantès, devenu Comte de Monte-Cristo, construit patiemment sa vengeance, recueille les secrets de ses ennemis, et se lance dans un voyage dangereux… Un voyage que cette adaptation captivante nous donne à vivre de manière absolument inédite et fantastique.
Le Comte de Monte-Cristo façon puzzle
Au château d’If, sur l’île d’Elbe, une fois morts les prisonniers étaient jetés à l’eau. Mais un jour, c’est vivant que l’un d’eux s’est retrouvé à la mer. Une évasion spectaculaire ! De ce jeune officier de marine enfermé dans son cachot sans procès ni jugement on ne connaît que le numéro : 34. Et c’est à sa cellule que s’intéresse surtout un mystérieux visiteur venu explorer cette prison désormais désaffectée. La sienne, et celle du numéro 27, l’abbé Faria, emprisonné dans le même temps.

C’est ainsi que nous voilà plongés dans cette incroyable épopée au cœur de la mémoire à travers une succession de courtes scènes s’encastrant à un rythme effréné les une dans les autres. De temps en temps, un narrateur nous guide à l’aide de repères spatio-temporels pour nous orienter à travers ce labyrinthe vertigineux.
Une adaptation qui bouleverse la chronologie
Ce Comte de Monte-Cristo est une véritable surprise dans son adaptation et sa mise en scène. Nous nous attendions à être séduits, c’est pourquoi cette pièce faisait d’ailleurs partie de nos espoirs pour cette nouvelle édition du Festival OFF, mais pas de cette manière. On est très vite impressionné et captivé par le travail effectué pour rendre aussi intense, vivante et immersive cette œuvre romanesque tant de fois adaptée au théâtre, à la télévision, au cinéma et ailleurs.

En effet, le rythme est soutenu, les comédien.ne.s de la compagnie Les âmes libres jouent alternativement chacun des personnages et nous promènent dans le temps et l’espace en quelques coups de cape. Ainsi, de Marseille au Château d’If en passant par Paris et l’Italie, on croise l’Abbé Faria, le Baron Danglars, le Comte de Morcef, Mercédès, et autres Gérard de Villefort pour ne citer qu’eux parmi une trentaine de personnages.
« Si vous vous perdez, ce n’est pas grave. Laissez-vous faire… »
Pour être tout à fait honnête, le poids de la fatigue de plus de deux semaines de festival combiné à nos souvenirs plus très frais de ce classique de Dumas ne nous ont pas aidés à suivre le fil de cette adaptation syncopée. Mais, ainsi que nous l’a suggéré Véronique Boutonnet, nous avons lâché prise et laissé cette adaptation inventive nous emmener à un endroit puis à un autre de l’histoire, revenir en arrière, nous projeter plus loin, rejouer une scène déjà jouée un peu plus tôt pour nous aider à mieux saisir l’enchaînement…
Un trio qui nous impressionne
Le jeu de ces trois fabuleux artistes nous y a grandement aidés. Le charisme ténébreux de Franck Etenna donne notamment à son personnage de Monte-Cristo une intensité qui le rend redoutable. Luca Lomazzi se fond avec habileté dans chacun de ses personnages et nous offre un joli moment d’humour à l’italienne.
Quant à Véronique Boutonnet, elle nous ravit une fois de plus de son jeu authentique, passionné, d’une formidable générosité, et qui ne s’embarrasse d’aucune fioriture. Une âme libre oui, c’est bel et bien ce qu’elle est et qui se dégage de ses adaptations, de sa manière d’aborder le théâtre, de s’emparer des œuvres pour élaborer à partir d’elles une matière nouvelle, noble et accessible, au service de nos émotions et de notre imaginaire.
Quelle prouesse !
Richard Arselin, qui signait déjà la mise en scène d’Une vie, fait lui aussi ici encore un travail admirable, intelligent et soigné. Ce sont les voix, les sons, les lumières et les corps en mouvement qui fabriquent le décor. Et ils parviennent, à eux seuls, à donner une dimension cinématographique étonnante à la pièce et à nous faire vivre une expérience à la fois déroutante et unique.

Ainsi, lors des scène qui se déroulent dans le Château d’if, une simple lampe torche nous fait ressentir la noirceur des lieux, la froideur de la pierre mêlée au silence des cachots. Puis, les corps groupés qui ondulent nous emmènent sur une barque en pleine mer… Et c’est toute la densité romanesque de l’œuvre, sa dimension quasi mystique, son foisonnement de rebondissements, que l’on retrouve alors.
Nous sommes à peu près sûrs qu’avec un peu moins de fatigue et une connaissance rafraîchie de l’œuvre nous nous serions davantage encore rapprochés du coup de cœur. Mais qu’à cela ne tienne, cette pièce a su nous donner envie de nous replonger dans l’œuvre originale puis de revenir la découvrir sur scène. Et, plus important encore, elle a su se rendre à notre esprit inoubliable.
Le comte de Monte-Cristo, d’après Alexandre Dumas, adaptation Véronique Boutonnet, mise en scène Richard Arselin, avec Véronique Boutonnet, Franck Etenna, Luca Lomazzi, se joue au Théâtre Le Grand Pavois, du 8 au 28 juillet, à 18h55.
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Avis
Avec seulement trois comédien.ne.s sur un plateau nu, nous aurions difficilement pu imaginer une adaptation aussi intense et vivante. Preuve que le talent est une forme de miracle. Pour l'apprécier à sa juste valeur, mieux vaut tout de même se remémorer les grandes lignes du roman en amont.