Camus, Sartre… miroir d’enfances rapproche et confronte avec espièglerie les biographies de deux génies de la plume.
Camus, Sartre… miroir d’enfances nous plonge dans les jeunes années des deux écrivains pour nous aider à comprendre la teneur de leur différent, ou en tout cas explorer le terreau duquel elle a pu germer.
Dans cette pièce intimiste, Cliff Paillé et Alexandre Cattez s’emparent des biographies respectives des deux auteurs pour donner voix à leurs mots et faire résonner le son de leurs enfances. Et nous nous sommes laissés emporter par la poésie de cette pièce qui faisait partie de nos espoirs pour cette nouvelle édition du Festival OFF.
Camus, Sartre, Paillé
En effet, au vu du nombre de pépites auxquelles Cliff Paillé nous a habitués, il nous est assez impensable de manquer l’une de ses nouvelles créations. Chaplin, 1939, Tant qu’il y aura des coquelicots, Un soir chez Renoir, et on en passe et des meilleures ! : nous sommes toujours séduits, et le succès de chacube de ces pièces parle de lui-même.
Une fois que l’on a goûté à sa plume, on n’a qu’une envie c’est d’y revenir. Soyez prévenu.e.s ! Et, pour ne rien gâcher, l’auteur sait aussi s’entourer d’artistes franchement doués, que l’on prend toujours un plaisir immense à retrouver sur scène. Romain AK, Elya Birman, Lyne Lebreton, ou encore ici Alexandre Cattez, pour ne citer qu’eux. Et ce sont des univers très variés, passionnants et instructifs que nous découvrons à chaque fois, même si l’Art s’y trouve toujours plus ou moins mêlé…
« Leur querelle fut publique, violente, odieuse parfois. Mais, pourquoi tant de haine ? »
Ici pourtant, une fois n’est pas coutume, ce n’est pas la plume de Cliff Paillé que nous retrouvons, même si c’est à s’y méprendre, mais celles de Sartre et Camus à travers leurs ouvrages respectifs Les mots, et Le premier homme. En revanche, l’auteur articule avec charme et une dose de malice les extraits de ces deux œuvres qu’il rapproche et confronte dans une mise en scène espiègle et pétillante.
Un voyage en enfances…
Assis de part et d’autre de la scène à un bureau d’écolier, les deux comédiens évoquent l’un Sartre, l’autre Camus, et notamment la querelle publique qui les opposait. En effet, les deux hommes étaient brouillés. Pourtant, Sartre a écrit un bien bel et émouvant hommage à la mort de Camus, ce qui a de quoi intriguer. Quoique… à y regarder de plus près et à bien lire entre les lignes, le discours prend soudain une toute autre allure et laisse entrevoir quelque animosité…
Alors, au fil de leur échange, ils vont donner voix et vie à la prose des deux hommes, revenant parfois dans leur peau de comédiens le temps d’un commentaire partagé ou d’une taquinerie qui viennent nous tirer des sourires. Et c’est cet entremêlement heureux qui offre à la pièce une dynamique, un rythme efficace, qui lui fait échapper à une monotonie que l’on aurait pu craindre. En effet, ce n’est pas une mince affaire que de réussir à captiver à partir de lectures d’extraits de textes, et on peut dire que c’est ici réussi.
« Le sacré se dépose dans les belles lettres et l’homme de plume apparaît. »
Cela est évidemment dû à la poésie de ces œuvres qui dessinent du bout des mots des paysages, des moments, prenant parfois des allures de cartes postales. Mais aussi à celle de la mise en scène qui, tout en sobriété et jeux de lumières habiles, nous fait passer d’une enfance à l’autre et nous offre quelques jolis tableaux. Comme cette scène où, tous deux assis à leur bureau, il écrivent en silence à la simple lueur d’une bougie… On rit aussi parfois, quand l’apparition des premiers films muets contraint Camus à lire les sous-titres à sa mère au cinéma par exemple !
Deux enfances aussi semblables qu’opposées…
Ainsi, Cliff Paillé et Alexandre Cattez se partagent un plateau relativement nu, que seuls les mots envahissent. Le premier est Sartre, l’enfance éclairée d’une lumière dorée, le second Camus, davantage plongé dans la pénombre de sa situation. Et c’est à travers leurs jeunes années que nous partons à la rencontre de ces deux génies littéraires et philosophes qui ont commencé par s’admirer et se lier d’amitié avant de se livrer à une rivalité qui défrayera la chronique.
Ces récits qu’ils incarnent avec passion et délicatesse s’entremêlent autour d’éléments communs, un père mort durant leurs premiers mois de vie, le goût de la lecture, ou encore l’ennui malgré des instants d’ivresse heureuse… tout en faisant ressortir ce qui différenciait les deux hommes.
Le petit Jean-Paul vivant dans un immeuble cossu près du jardin du Luxembourg tandis que le petit Albert grandissait dans un quartier pauvre d’Alger. Une enfance agréable, baignée de littérature pour l’un ; les joies de l’école, loin de la misère et de la solitude du quotidien, pour l’autre… La honte de la pauvreté et la soif de courage pour Camus, tandis que Sartre évoque la honte de sa « présence insolite dans ce monde en ordre ».
« Je confondais mon corps et son malaise. Des deux, je ne savais plus lequel était indésirable. »
Albert Camus, Le premier homme
Camus, Sartre… Des enfances assez banales au fond, faites de découvertes, de passions, d’ennui, de colère, d’émerveillement, de doutes… mais auxquelles leurs plumes, leurs destins, et cette jolie mise en scène donnent un goût d’exceptionnel.
Camus, Sartre… miroir d’enfances, de Cliff Paillé, avec les textes d’Albert Camus, Jean-Paul Sartre, mise en scène Cliff Paillé, avec Alexandre Cattez & Cliff Paillé, se joue au Théâtre Transversal, du 7 au 25 juillet, à 20h40 (relâche les mercredis).
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Avis
C'est un récit très vivant et visuel qui prend forme devant nous et parvient, à la seule force des mots, à faire apparaître des décors, des paysages. Malgré quelques maladresses que le temps devrait polir, le jeu est juste et les comédiens nous captivent.