On n’arrête plus Quentin Dupieux, et avec Fumer fait tousser, son second film de l’année 2022, le réalisateur semble aussi désabusé que plus en forme que jamais.
Fumer fait tousser sort à quelques mois d’intervalle du réussi Incroyable mais vrai, en poussant les ambitions et les thématiques de ce dernier pour un constat de notre époque au ton encore plus amer et désespéré. Actuellement en tournage de son douzième opus, la filmographie de ce cinéaste hyperactif a déjà connu plusieurs mues. Débutant par Steak, une comédie incomprise au flop critique et public, l’aventure aux États-Unis s’est avérée close par le petit sommet nonsensique qu’était Réalité, avant un retour en France en 2018. Depuis, Quentin Dupieux semble avoir trouvé son tempo, au détour de comédies resserrées sous les 1h30 et dont l’aspect toujours très grossièrement (et facilement) décrit comme insolite, ou même loufoque, traduit cependant des sujets bien plus sombres, de la folie et la solitude du Daim à la bêtise totale d’une époque en totale perte de repères dans le minimaliste et déjà nihiliste Mandibules.
Mandibules semblait ainsi entamer une sorte de parenthèse du cinéaste axée sur le vide, alors que Fumer fait tousser, présenté en séance de minuit au 75ème Festival de Cannes, rejoignait le très vain, et pourtant palmé Sans Filtre (Triangle of Sadness) de Ruben Östlund sur bien des thématiques. Les deux cinéastes proposaient ainsi tous deux une vision désabusée d’une époque, l’un s’attaquant de front aux inégalités de classes, mais préférant finalement et facilement mettre tout le monde dans le même sac, et l’autre, renforçant son univers à part pour un portrait cynique sur le vide de nos vies robotisées et dénuées de sens. Parce qui si sur la forme, Fumer fait tousser s’avère être le projet le plus ambitieux du cinéaste, en mixant la parodie de sentai et le film à sketches (qui n’en est finalement pas un), le onzième long-métrage de Quentin Dupieux s’avère et surtout, être sur le fond l’un de ses plus aboutis.
Des acteurs.trices qui font un tabac
Fumer fait tousser se présente donc tout d’abord comme une parodie de sentai, genre popularisé par des séries live comme Power Rangers faites avec peu de moyens et beaucoup, beaucoup de costumes moulants. On y suit ainsi les cinq justiciers de la Tabac-Force, qui après un combat victorieux contre une tortue maléfique, s’en vont mener une retraite spirituelle afin de renforcer la cohésion de leur groupe. Et déjà, le spectacle s’avère empreint d’une certaine tristesse. Derrière les tenues colorées, une tortue muette explose, et le caoutchouc de sa tenue laisse place à des flaques de sang, elles, bien réelles. Plaisir de jeu, on comprend aisément pourquoi Quentin Dupieux parvient à s’entourer de castings aussi prestigieux tant les dialogues et les numéros d’acteurs semblent maîtrisés, peu importe où le scénario souhaite les emmener. Tous sont hilarants et semblent ainsi être une force supplémentaire à un Quentin Dupieux dont la direction d’acteurs atteint ici un petit sommet.
Parce que si l’on apprécie le style du cinéaste, avec sa photographie et sa mise en scène désormais très identifiés (en plus de ses choix musicaux géniaux), ses scénarios parfois décrits comme inaboutis et son perpétuel goût pour l’absurde ressortent souvent comme des reproches faciles et finalement inadaptés. Parce que dans notre société actuelle, où se situe vraiment le curseur de absurde ? De plus, il y a dans Fumer fait tousser ce ton désespéré que l’on retrouvait dans la conclusion d’Incroyable mais vrai qui irrigue désormais tout le projet. Ces héros hauts en couleurs ne sont ainsi que des pantins désincarnés à l’extrême, dont la retraite spirituelle accentuera la vacuité de leur mission, de leurs rapports, et traduira à merveille nos quotidiens désincarnés, nos vies professionnelles robotisées, et ces postes sans utilité qui émaillent nos vies ultra-connectées pour ne surtout pas se trouver confronté à soi-même.
Passer l’époque à tabac
Fumer fait tousser s’élève ainsi rapidement bien au-delà de toutes les étiquettes qu’on lui a accolées, pour dépasser à la fois sa quête initiale de parodie et de prétendu film à sketches. Ces histoires racontées pour se faire peur traduisent ainsi le constat amer et désenchanté d’un cinéaste dont l’inventivité se pare ici d’un goût fataliste, d’une histoire de week-end tragique (la meilleure) à celle d’une cheffe d’entreprise inconsciente de tout, dont le prétendu ton sans-filtre traduisent surtout un manque total de compréhension du monde qui l’entoure (géniale Blanche Gardin). Quentin Dupieux propose ainsi, derrière ces histoires, un exercice presque méta, d’un conteur d’histoires voulant ramener tout un public vers l’essentiel, venu pour se divertir mais ne tirant, comme ses protagonistes, jamais de leçon des sujets qu’on leur propose.
L’horreur d’une histoire toute simple, de la pollution d’un lac et du constat d’une fillette sur la condition des protagonistes demeure l’histoire la plus sombre, et la plus inaudible pour ces derniers, tant la réalité semble finalement effrayante pour tous. Condamné un temps à créer des refuges colorés comme des parenthèses faussement insolites et fantasmées de la vie, Quentin Dupieux semble ici vouloir s’en extraire, en signant, devant Incroyable mais vrai, sa conclusion la plus nihiliste et tragique de sa filmographie. Tel un manieur de pantins désincarnés, le cinéaste semble ainsi plus amer que jamais, faisant basculer son univers à part dans une satire aussi désenchantée qu’amère sur un monde qui refuse de voir qu’il court à sa propre perte. Un lanceur d’alerte au talent tout sauf enfumé, dont on attend les prochains projets avec une excitation, quant à elle, toujours intacte.
Fumer fait tousser sortira le 5 avril 2023 en Blu-ray, DVD et VOD.
Avis
Fumer fait tousser paraît aisément comme l'essai de plus abouti de Quentin Dupieux. Après Incroyable mais vrai, un ton désespéré et nihiliste envahit l'univers à part du cinéaste, ici transfiguré en un lanceur d'alerte dont l'art délaisse volontiers la couleur pour une noirceur bienvenue, aussi divertissante que salutaire.