Une pièce sous influence est un huis clos tendu et troublant qui nous plonge dans les méandres d’un deuil impossible à faire.
Trois ans après le décès de leur fille, Anna se laisse convaincre par son mari, Mathias, de vendre leur maison. Mais la veille de la signature, alors qu’ils reviennent du carnaval, Anna apprend à Mathias qu’elle a invité les futurs propriétaires à venir chez eux… Un huis clos surprenant, où l’on rit, où l’on peut pleurer aussi, et que l’on quitte un peu secoué.
Ce soir, c’est carnaval !
C’est un univers qui bouscule, dans lequel on rentre ou non et, si l’on fait ce pas, on sent bien qu’on n’en sortira pas indemne. Mais il y a ici toute la créativité, la richesse, la profondeur, l’intensité que nous aimons nous prendre de plein fouet. Il y a des sensations, des images, des silences, des regards qui restent.

Tout commence sur un ton plutôt léger, pourtant. Matthias et Anna débarquent sur scène, lui en armure de chevalier, elle déguisée en mariée morte, une hache plantée dans la tête. Au beau milieu de leur échange, qui part un peu dans tous les sens, se glissent soudain quelques mots au sujet de « la tombe de leur fille ». On comprend alors que la légèreté apparente n’est qu’un mirage. Comme ce tapis épais de confettis qui recouvre la scène, ou ce lustre échoué sur le sol et que l’on tentera de raccrocher, en vain. Car la lumière n’est pas si simple à rallumer quand on a été frappé par un drame comme celui-là.
Une pièce sous influence… et sous haute tension
Mathias n’arrive plus à vivre dans cette maison depuis la mort de leur fille. Mais de ce drame, il ne parle jamais. De sa fille non plus d’ailleurs. Et derrière ce silence, on sent bien que la plaie est à vif, qu’un volcan sommeille. Martin Legros vient, à plusieurs reprises, nous bouleverser dans ce rôle. Anna, elle, incarnée de manière épatante par Sophie Lebrun, avance sur un fil, un pas dans le réel, un pas ailleurs…

Le drame s’enveloppe ainsi de déni, frôle parfois la folie, et la tension est toujours palpable, en filigrane parfois, notamment grâce à la batterie de Nicolas Tritschler présente sur scène et dont le son n’est parfois qu’un effleurement, à peine perceptible, telles les émotions qui frémissent, laissant deviner l’ébullition à venir, le débordement inévitable qui arrive ensuite.
Un moment de théâtre singulier
Il se dégage de cette pièce quelque chose d’à la fois troublant et hypnotique. Le jeu hyperréaliste, teinté d’absurde et d’une justesse épatante des comédiens y est pour beaucoup. Tout comme ce texte de Martin Legros, que certains silences, certains regards font résonner avec une telle intensité que l’on retient parfois notre souffle.
On perçoit la fragilité qui se cache derrière des dialogues qui s’enchaînent parfois sans logique, les quiproquos qui se multiplient, l’humour comme bouée de sauvetage, les silences assourdissants… Arrivé en super-héros aux côtés de sa femme, personnage plus contenu joué par Inès Camesella, le futur propriétaire (excellent Baptiste Legros) ne pourra finalement pas sauver grand monde…

Et puis il y a cette scénographie inspirée, inspirante, terriblement joyeuse et dramatique à la fois. Il faut d’ailleurs saluer le travail sur le son, comme dans cette scène où le bruit des graviers accompagne le mouvement des pas pour signifier l’extérieur ; le travail sur la lumière également, et notamment cette scène hypnotique (encore !) entièrement dans le noir, où seuls apparaissent le bout rougeoyant de deux cigarettes. Sans parler de la scène de désolation finale… Bref, vous l’aurez compris, on a adoré ce spectacle qui risque de nous marquer pour longtemps.
Une pièce sous influence, de La Cohue, texte Martin Legros, mise en scène Sophie Lebrun et Martin Legros, avec Inès Camesella, Sophie Lebrun, Baptiste Legros ou Antonin Meyer-Esquerré (en alternance), Martin Legros, Nicolas Tritschler, se joue du 25 septembre au 5 octobre 2025, au Théâtre du Rond-Point.

Avis
Cette pièce aurait pu s'appeler "Une pièce sous tension" tant cette dernière est présente d'un bout à l'autre, de manière subtile souvent, envahissante parfois. À l'image, finalement, des émotions auxquelles sont confrontés cet homme et cette femme qui tentent, comme ils le peuvent, de faire face au drame de leur vie. C'est poignant, criant de vérité.