The Edge, sorti en 1968 et réalisé par Robert Kramer est un film – oui oui.
Ce n’est d’ailleurs pas n’importe quel film du bonhomme, c’est le troisième, on est donc là aux prémices de son cinéma. The Edge – ou En Marge dans sa traduction française – est d’autant plus au cœur de son réalisateur qu’il prend comme sujet un mouvement révolutionnaire de la gauche anti-guerre – 1968, le Viêt Nam, tout ça tout ça.
Pour rappel, Kramer était lui-même engagé dans cette gauche radicale des années 60, et en ça le film est déjà une belle promesse d’immersion. L’occasion de transposer en fiction une certaine part du réel de l’époque et de ses conditions humaines. Et sans être une grande expérience de cinéma, The Edge réussit à porter un regard crépusculaire intéressant sur la gauche radicale de ces années-là.
Point et…
Peut-être nous sommes nous ramollis avec le temps, mais l’introduction des personnages nous a laissé la même impression que le dernier Detective Conan. Façon fiche de renseignement, le film va succinctement nous présenter les activistes ou connaissances d’activistes que nous serons amenés à côtoyer durant le film. Le souci, c’est qu’on se retrouve avec un parpaing de noms et de relations lancé au visage dans la première minute de film, sans plus de contexte sur l’affaire. Il faudra en fait une bonne moitié de film avant de confortablement identifier les personnages, leurs relations et ce qui les anime.
C’est vraiment dans sa seconde moitié que le film va prendre son envol, notamment quand sera mise sur la table la notion “d’actes” révolutionnaires. S’il y a une pensée et volonté, quel en est l’acte ? Comment ne pas se sentir impuissant ? À quoi cette même sensation d’impuissance aboutit-elle ?
Pour en arriver là, c’est une bonne demi-heure de film, pas toujours bien articulée, qu’il aura fallu traverser. Jamais désagréable, le tout a quand même des allures d’exposition à rallonge. Pareillement, on est assez surpris par le manque d’élan généralisé du film. Des dialogues à la mise en scène (pas nécessairement le cadrage), ça respire parfois beaucoup et on se demande où se cache la vigueur du réel, son humour, etc… Les personnages souvent statiques, voire même extatiques, lancent leurs répliques sans que celles-ci trouvent réponse dans des blancs pesants. Malgré ses envies de réel, le film manque parfois de remous.
… Contrepoint
On peut cela dit trouver réponse à cette forme aux allures lancinantes dans ce que le film décrit. On peut comprendre cette ambiance comme l’écho d’une “révolution” qui se retrouve en mal d’actions révolutionnaires, en mal de pouvoir d’agir. C’est notamment cette perte de sens là qui conduit le personnage “principal” à vouloir – et c’est le nœud du problème – tuer le président puis se donner la mort. Il l’explique lui-même : ça n’a pas de sens, n’y cherche pas sens, laissez-moi simplement le faire ; une vie pour une autre, un acte pour acte, même insensé.
En cela, il n’est pas étonnant de voir le film “ennuyer” parfois. Les personnages eux-mêmes s’ennuient et fuient en se laissant porter par le courant, « perdu » dans les idées qu’ils n’arrivent pas à manifester. Si personne ne veut voir le président mort et alors anéantir l’image publique du mouvement, personne ne lèvera pour autant le petit doigt pour empêcher que cela arrive. Cette impuissance dans The Edge, elle s’étend bien au-delà du cadre militantisme et va jusqu’au couple.
Tout le monde savait ce que le personnage campé par Jeff Weiss était prêt à faire, pour autant la réponse fut celle de l’attentisme, “je ne suis pas d’accord mais fais-le, je ne t’arrêterai pas”. On laisse faire jusqu’au retour au réel, secrètement on espérait qu’il le fasse, nous même sur la pente, comme un fantasme que l’on assouvirait par procuration. Là-dessus, le film a l’intelligence de ne pas exposer de morale claire et en cela, il est un défrichage thématique intéressant.
Ne tient pas à l’oeil
C’est dommage parce qu’il existe dans The Edge quelques percées ici et là. Cette caméra qui préfère aller d’un visage à l’autre plutôt que couper donne du vivant aux scènes – d’ailleurs le film en général aime les visages. Pareillement, le début du film propose quelques plans “d’observateur”, quelques images façon “regard dérobé” assez intéressantes dans le cadre d’un tel film. On note aussi en bien cette seconde partie d’ouverture, le personnage, seul, perdu dans un plan large aux abords du capitole. Ce genre de choses restent dans la rétine.
Ce sont cependant là des exceptions formelles, le film compose souvent tant bien que mal avec son peu de moyens. On est aussi un peu déçus de voir que les plans d’usines ou de manifestations sont réduits à peau de chagrin, alors que censés composer une part importante de la vie des protagonistes. Le film reste à une itération de chaque, alors même qu’à filmer c’eût été des sujets plus intéressants qu’une maison en bord de mer. Heureusement a-t-on le droit à un soupçon de travail manuel avec un potier, la cause est sauve.
Pour en revenir au fait et en conclure, The Edge est une étude de cas intéressante un poil trop « sage’ peut-être, mais intéressante. Reste un film qui, à défaut de valoir le détour, peut être vu sans regret. L’exercice de Robert Kramer n’est pas dénué de réussite.