L’étoile sans nom est une pièce poétique, drôle et lumineuse, qui nous embarque dans un univers entre réel et imaginaire.
Ce n’est pas si commun d’avoir le sourire aux lèvres tout au long d’un spectacle. De se sentir ailleurs – dans le temps et dans l’espace – sans trop vraiment savoir où. L’étoile sans nom nous offre ce moment de grâce. Adaptée de l’œuvre de l’écrivain roumain Mihail Sebastian, cette pièce aborde des thèmes profonds et existentiels comme la solitude, la passion, le bonheur, ou encore l’ouverture d’esprit, avec une telle finesse que c’en est presque implicite. Lorsqu’une belle inconnue de la haute bourgeoisie débarque dans la gare d’une ville sans nom en Roumanie, où la vie se déroule sans surprise, dans une tranquillité confondante, le quotidien de ses habitants va se trouver complètement chamboulé. Et pas que le leur, d’ailleurs…
Une mise en scène immersive et suggestive
C’est bien la première fois que, pour nous installer dans une salle de théâtre, nous devons passer par la scène et traverser une voie ferrée (certes imaginaire mais tout de même) ! Nous ne sommes pas encore assis que le voyage a déjà commencé… Le décor est simple mais terriblement efficace pour nous plonger dans un passé à peine poussiéreux. Un peu comme un grenier derrière la porte duquel nous attendrait un lumineux trésor. D’autant que, même les éléments non matérialisés, comme le train – lorsque nous sommes dans la gare – ou l’arrosoir – un peu plus tard dans l’appartement de Mirou – nous semblent présents. C’est dire la qualité de cette toute première mise en scène de Daria Konstantinova. En effet, la jeune femme parvient, en nous faisant ressentir l’existence d’éléments pourtant invisibles à l’œil et impalpables, à prolonger au-delà du récit cette balade entre réel et imaginaire dans laquelle l’histoire nous emmène.
« J’ai découvert quelque chose. Quelque chose de déchirant Grig, nous sommes malheureux. »
Une adaptation rythmée
On se laisse complètement emporter dans cette pièce aux allures de voie lactée qui fait pétiller les yeux. Car rien n’est laissé au hasard, tout se fait dans la délicatesse et avec une parfaite justesse. Jusqu’aux changements de décors qui s’opèrent sous nos yeux, avec grâce, sans que jamais les comédiens n’abandonnent le public. Le rythme est constant, aucune scène, aucun mot, aucun silence n’est de trop. Et c’est rare. Aussi, on ne voit pas le temps passer, et on resterait bien volontiers au-delà de cette petite heure et demi, à regarder passer les trains et à observer la Grande Ourse à leurs côtés. Car c’est une pièce dans laquelle on se sent bien. Une bulle de poésie, un cocon dans lequel on se blottit, bercés par les délicieuses et entraînantes mélodies aux sonorités de l’Est.
Des comédiens éblouissants d’authenticité
Le talent n’a oublié personne dans cette troupe de comédiens brillants et pétris d’énergie, qui livrent une interprétation toujours juste et précise. Les jeux de lumières donnent vie à chacun de ces neuf personnages pittoresques dans leur univers propre. Et ils nous régalent tous, sans exception, de leur personnalité très travaillée et bien campée. Parfois touchante, comme celle du timide et sensible Mirou, qui vit un peu à l’écart du monde palpable, le nez dans ses livres et la tête dans les étoiles ; souvent drôles, à l’image du consciencieux chef de gare aux répliques jubilatoires et de son adjoint, personnage maladroit au bon cœur, à la présence muette mais non moins expressive ; et jamais exagérées, même lorsqu’il s’agit d’incarner Mona, une belle inconnue, fraîchement débarquée d’un autre monde, fait de paillettes, d’apparences et d’illusions.
Une pièce qui rend heureux
L’histoire est belle, émouvante, poétique. Drôle, aussi ! Et elle invite, l’air de rien, avec beaucoup de subtilité et de finesse, à réfléchir quant à la trajectoire de nos vies. À réinterroger nos désirs profonds, nos rêves enfouis, les folies qui nous brûlent, l’idée que l’on se fait du bonheur. Par une rencontre improbable avec l’inconnu, la confrontation de deux univers qui semblent n’avoir rien en commun et fantasment l’un sur l’autre, la réalité se redessine, réinvente ses contours, offre de nouvelles possibilités. À l’image de Mirou, qui a découvert une étoile sans jamais l’avoir vue, ou Udrea, qui a écrit une symphonie qu’il ne peut jouer que dans sa tête faute de l’instrument clé, c’est d’un amour pur et insaisissable dont il est question. Une réalité dans laquelle Mona se rêvera, le temps d’une nuit inoubliable, passée un peu plus près des étoiles…