L’Événement débarque dans les salles hexagonales, quelques mois après avoir triomphé lors du prestigieux festival de la Mostra de Venise. Un Lion d’Or totalement mérité pour le second film d’Audrey Diwan, traitant de l’avortement clandestin d’une jeune étudiante dans la France des 60’s. Un récit intense et poignant sur la condition féminine et la quête d’appropriation de son destin.
Au commencement de L’Événement, il y a le roman de Annie Ernaux sorti en l’an 2000. Un récit autobiographique et inspiré du propre avortement de l’autrice, qui compte son combat clandestin pour devenir à la fois maître de son corps, mais également de son destin. Plus de deux décennies plus tard, c’est Audrey Diwan qui s’attelle à la réalisation de cette adaptation. Cinéaste d’un premier film déjà annonciateur d’un cinéma prônant la mise à nue de tabous (Mais vous êtes fous), on la connait aussi comme co-scénariste des films de Cédric Jimenez (La French, HHhH, Bac Nord), son conjoint à la ville !
Dans L’Événement version filmique donc, nous sommes dans la France de 1963, et suivons Anne Duchene, jeune étudiante prometteuse en fac de lettres. Studieuse et désireuse de devenir professeure, on la découvre lors d’une soirée toute en légèreté: elle est libre, danse, draguouille un peu… tout semble lui sourire mais à la séquence suivante un décompte apparaît. « 3 semaines »… Anne apprend qu’elle est enceinte et que ses ambitions de vie tombent à l’eau, alors que l’avortement est fortement prohibé.
Nous sommes donc quatre ans avant la pilule contraceptive, et douze ans avant la Loi Veil (généralisant la pratique de l’interruption volontaire de grossesse). L’Événement se veut en effet à la fois un drame social sous forme de vrai plaidoyer féministe, mais avant tout un pur film sous tension croissante. Jamais moralisateur, le discours intrinsèque qu’il soutient n’est que l’exégèse des émotions et du parcours de cette héroïne que l’on suit du début à la fin. Sa détresse et sa soif de « survie » face à ce qui est presque considéré comme une maladie taboue, sont les moteurs du film et le plus pur point de départ réflexif pour le spectateur.
Et à ce titre, Audrey Diwan nous embarque dans une véritable course contre-la-montre, à mesure que l’échéance approche. Un sentiment de tension palpable à chaque instant, qui nous prend par le col (et n’est pas sans rappeler le travail fait avec son mari sur le gros segment de Bac Nord) pour nous délivrer aux dernières minutes du métrage. Un des astucieux dispositifs employés est le cadre resserré aux 4/3, emprisonnant Anne même en plein air. Comme dans une bulle sous pression, la protagoniste s’insère dans un véritable parcours du combattant où la caméra capte chaque émotion de son visage. Pas de fioriture, pas de sur-esthétisation pouvant mettre de la distance, mais un style sobre à la caméra à l’épaule pour amener une vraie viscéralité à l’ensemble !
I am a Survivor
Outre une fabrication millimétrée à base de plans-séquences et de sound-design immersifs, c’est définitivement Anne elle-même qui tire son épingle du jeu via une magnifique interprétation d’Anamaria Vartolomei. Actrice révélée dans My Little Princess dix ans plus tôt, elle explose ici dans un rôle marquant et exigeant. Elle parvient de manière admirable à retranscrire la détresse, la douceur, la détermination féroce, l’intelligence et la force de conviction d’Anne. Le spectateur se prend donc immédiatement d’empathie, souffre et endure les évènements avec elle. Une vraie synergie d’intention entre la fabrication, l’interprétation et bien sûr la narration de L’Événement !
Du choc de la révélation, en passant par les passages dans divers cabinets de médecins (dépeints avec une froideur clinique) pour trouver de l’aide, les discussions taboues entre filles sur leur individualité se heurtant aux dogmes établis, la chute des notes scolaires, la distance que mettra Anne avec tous ses proches jusqu’aux tentatives d’avortement…l’intrigue se suit sans répit ni artificialité. On peut par ailleurs déceler un subtil discours sur la lutte de classes il y a plusieurs décennies (Anne vient d’un milieu prolétaire, et la seule manière d’aspirer à autre chose est de réussir son concours), ainsi que sur la représentation du plaisir féminin (lui aussi tabou et brimé par une représentation masculiniste ancestrale).
Au final, L’Événement puise dans le thriller politique et le film de résistance (Anne doit cacher la nature de ces tracas sous peine d’être dénoncée et envoyée en prison) afin de distiller son suspense avec parcimonie et efficience, jusque dans un dernier segment où la terreur se veut viscérale. C’est tendu, mais toujours ancré dans le réel donc !
Le meilleur film français de l’année
De part un scénario qui va vers la simplicité, Audrey Diwan (et donc Annie Ernaux) touche une forme d’universalité dans son message. Loin de prôner l’avortement via un ton moralisateur, elle vient à questionner la notion de libre-arbitre et de perte d’appropriation du corps féminin. L’Événement se veut donc plus ample et grand que son postulat de base, montrant des jeunes femmes en quête de sens, de leur propre sexualité, désir et soif de vivre.
In fine, Audrey Diwan et Anamaria Vartolomei puisent dans l’essence même de ce que représente le cinéma pour parvenir à poser de vraies questions, et offrir une réflexion consubstantielle aux émotions ressenties dans nos tripes tout au long du visionnage. En résulte un Lion d’Or pas du tout démérité pour le meilleur film français (et un des meilleurs tout court) de cette année. Poignant, tendu, sensible, viscéral, porteur de sens et formidablement interprété, L’Événement est une grande réussite à ne pas louper !