Le voilà donc enfin, ce Grâce à Dieu qui aura déjà fait couler de l’encre.
Le prolifique François Ozon s’attaque donc à la question de la pédophilie dans l’Eglise au travers de trois portraits d’hommes abusés par un même prêtre. L’affaire est réelle et a eu à travers le monde d’importantes répercussions. Autant dire que le défi était de taille et les écueils prêts à s’inviter au passage : du risque d’une plate retranscription documentaire au mélo tire-larmes.
Et la réussite fut…
Grâce à Ozon, il n’en sera rien. Son nouveau film est, pardonnez le jeu de mots, un véritable miracle. En tirant le fil de cette affaire au travers de trois portraits enchaînés, Ozon déploie un kaléidoscope thématique et émotionnel d’une formidable richesse. Il permet à cette histoire d’être réhabilitée dans toute sa profondeur et sa complexité. Du bourgeois fin croyant au chômeur à la sensibilité à fleur de peau, tous se croisent et pansent au mieux leurs plaies béantes.
L’infinie délicatesse et la pudeur doucereuse qui caractérisent ce long-métrage sont les clefs d’entrée vers une douleur sourde irriguant chaque séquence. En absolue maîtrise de son talent, Ozon sait parfaitement diriger son récit sur la juste émotion, celle qui agrippe son spectateur aux tripes pour ne plus le lâcher. Sa mise en scène mute au fil d’un superbe mouvement en avant, passant de l’énergie vorace à la pleine mélancolie.
Trois parties, trois couleurs, un souffle à court
L’aisance avec laquelle le cinéaste glisse d’une histoire à une autre est remarquable. Loin de tomber dans le piège d’une oeuvre télévisuelle, le cinéaste parvient à donner un corps organique à ces trois êtres au destin mêlé. On trouve en première ligne la vélocité d’un Melvil Poupaud en marche perpétuelle. Ses passionnants échanges épistolaires impriment au film toute son ambiguïté théologique et dévoilent tout le préambule complexe de cette affaire.
La deuxième partie, peut être la moins réussie, s’engage avec passion dans la croyance militante. Portée par un Denis Ménochet à l’énergie contagieuse, elle offre au film une respiration bienvenue. L’évolution médiatique de l’affaire y est retranscrite avec méticulosité, ce qui rapproche aussi le projet d’un certain Spotlight, pour le meilleur et le moins bon. La justesse et la gravité de l’ensemble lui assurent toutefois de tenir solidement le cap.
Finir en (toute) beauté
Reste enfin à clore avec la plus sensible des affaires. On assiste alors à une performance signée Swann Arlaud à couper le souffle, rapprochant ce prodige d’un Dewaere auquel physiquement il ressemble. La mise en images, nimbée d’un voile tragique, fait tourbillonner le spectateur au cœur d’une mélancolie qui vous hante jusqu’après la séance. On y déniche aussi la transformation d’une Josiane Balasko remarquable, éclatante d’alchimie avec Arlaud.
Jusque dans son dénouement rongé par l’incertitude, Grâce à Dieu est sans conteste la première claque cinématographique de 2019. Une oeuvre destinée à marquer les esprits et à s’imposer comme le film le plus abouti de son cinéaste. On lui souhaite un immense succès public.