La saison 2 de For All Mankind vient de se terminer sur Apple TV+ et on a évité le pire.
Attention cette critique comporte des spoilers.
Quand on écrit que l’on a évité le pire, on parle bien sûr de la Troisième Guerre mondiale désamorcée dans le dernier épisode ! Toute la saison 2 nous montre l’escalade des tensions entre les Etats-Unis et l’URSS, et alors qu’aucun retour en arrière ne semble possible, les valeureux astronautes américains parviennent à calmer le jeu en refusant par deux fois d’obéir aux ordres et en décidant de faire le premier pas vers la paix.
Car oui, rappelons-le, For All Mankind est bien un show américain, il était donc inconcevable de donner le beau rôle à l’URSS. Sans pour autant tomber dans le clivage manichéen : gentils Américains d’un côté et méchants Soviétiques de l’autre, la part belle est bien sûr laissée à Ed, Tracy, Dani, Gordo et Margo, alors que le nouveau personnage Sergeï, que l’on croyait au-dessus de la politique totalitaire de son pays, est montré dans le dernier épisode en train de fomenter contre la NASA, avec des hauts fonctionnaires de l’armée russe. Morale de l’histoire : il ne faut jamais faire confiance aux Russes même lorsqu’ils ont l’air sympas.
En dépit de cette vision très partiale cherchant à héroïser les personnages américains (bénéficiant d’un libre arbitre plus important que les protagonistes russes), la série montre à merveille qu’il en faut peu pour déclencher un conflit mondial et spatial; particulièrement lorsque l’agenda politique vient se mêler aux considérations scientifiques et humanistes. Car ce sont surtout les astronautes et les cosmonautes qui ont le beau rôle, alors que l’armée des deux pays prend petit à petit le contrôle des bases lunaires.
Le show d’Apple rappelle ainsi les dangers d’une nationalisation d’un territoire spatial qui pourrait, à terme, déclencher des tensions telles qu’elles entraineraient une militarisation spatiale et potentiellement une guerre nucléaire. Heureusement, dans notre monde, la course à l’espace a été très largement gagnée par les Etats-Unis et le message de paix en dehors de l’atmosphère terrestre reste dominant.
« Ici des hommes de la planète Terre ont pris pied pour la première fois sur la Lune, juillet 1969 apr. J.-C. Nous sommes venus dans un esprit pacifique au nom de toute l’humanité. »
Plaque commémorative laissée sur la Lune en 1969 par l’équipage d’Apollo 11
Néanmoins, For All Mankind appelle à la vigilance et porte à notre connaissance la tragique destinée du vol commercial Korean Air Lines 007, explosé en vol par un avion de chasse soviétique. Un incident survenu en 1983 mais qui n’est pas sans rappeler le Vol Malaysia Airlines 17, lui aussi abattu en plein vol en 2016 par l’armée russe, comme le montrent les conclusions de l’enquête néerlandaise. Un évènement qui prouve à lui seul que, si la guerre froide est officiellement terminée, des tensions et actes de guerres perdurent entre le bloc Ouest et le bloc Est.
C’est donc dans ce contexte actuel que nous regardons avec beaucoup d’attention l’histoire alternative proposée par Apple, complètement happés par les évènements de la série qui servent de prises de conscience à notre actualité. Bien sûr, la situation d’aujourd’hui est très loin d’être aussi dramatique que celle affichée dans For All Mankind, mais l’intrigue sert de piqure de rappel, et dénonce des décisions censées être temporaires/défensives qui deviennent permanentes/offensives à mesure que l’on s’en accommode.
Cette saison 2 de For All Mankind se veut donc très intense, prenante et intelligente. D’autant plus qu’elle a su corriger l’une de ses faiblesses, à savoir le traitement des images d’archive. Leur utilisation nous a ainsi paru plus efficace pour une immersion dans cette réalité alternative encore plus importante. On salue le travail de l’équipe technique qui est enfin parvenue à mêler soigneusement les vidéos d’archive à la série.
Un drama bien américain
En dépit d’un réalisme scientifique approximatif voire douteux, on profite du paysage et on se laisse volontiers porter dans l’espace et sur la Lune, comme un rêve que l’on toucherait du doigt. On en oublierait presque parfois même que la Lune est un territoire hostile pour l’être humain, tellement il semble facile d’y vivre dans la série. Heureusement entre deux trois tirs sur la Lune et des dépressurisations, For All Mankind sait très rapidement nous ramener à la réalité ou presque… car un show américain ne serait rien sans une bonne dose de drama un peu alambiqué.
Ainsi les scénaristes de l’épisode final font de Tracy et Gordo des sauveurs de l’humanité, mais pas à n’importe quel prix. Pour empêcher une catastrophe nucléaire sur la Lune et par extension une Troisième Guerre mondiale, les astronautes se sacrifient. Dans une scène à peine croyable, ils sortent sans combinaisons pour aller triturer des branchements qui vont permettre aux réacteurs nucléaires de se refroidir. Si l’on espère un temps que les deux vont s’en tirer, les showrunners ne poussent pas le vice de l’incroyable jusqu’au bout et décident de laisser l’ancien couple succomber de ses nombreuses blessures (causées notamment par la pression et la haute température à la surface de la Lune).
Si l’on peut pardonner aisément cette presque folie des grandeurs dans un show aussi haletant, on pardonne moins l’utilisation d’intrigues dramatiques très classiques. On parle ici de la relation extraconjugale de Karen avec le jeune fils de Tracy et Gordo. Très mal venu, et surtout amené de manière absurde et poussive, ce ‘coup d’un soir’ n’a aucune utilité si ce n’est remplir un cahier des charges, puisque c’est précisément ce genre d’arc narratif éculé que l’on peut retrouver dans n’importe quel autre drama américain.
En n’ayant pas pris la peine de recontextualiser leur relation après le bond dans le temps, les scénaristes donnent l’impression de plaquer une intrigue sans l’exploiter pleinement; rendant le personnage de Karen, jusqu’ici bien construit, très superficiel. C’est dommage, car Ed et sa femme faisaient partie des protagonistes les plus creusés et complexes de For All Mankind. La saison 2 avait d’ailleurs su les mettre en valeur au cours de scènes particulièrement poignantes, bien jouées et qui en dévoilaient plus sur le for intérieur du couple.
L’ellipse narrative comme témoin de l’évolution du monde
Si l’ellipse narrative n’était pas la meilleure option pour cet arc narratif très secondaire, pour ce qui est du reste, les showrunners ont réussi leur pari. En effet, la plupart des intrigues en cours de la saison 1 ont su trouver leur chemin 9 ans plus tard. De plus, ce bond dans le temps permet d’aborder en filigrane l’évolution du monde et les changements sociaux, culturels, politiques inhérents à chaque période historique. L’exemple le plus parlant étant certainement celui de la perception de l’homosexualité. S’il était presque inconcevable de faire son coming out dans la saison précédente, l’homosexualité semble petit à petit être acceptée et nul doute que la saison 3 offrira une nouvelle avancée en nous propulsant en 1995.
Cette seconde ellipse narrative sera l’occasion pour For All Mankind de se montrer encore plus ambitieuse et de faire débarquer l’homme sur Mars ! Une expérience inédite que nous avons déjà hâte de découvrir !