Thibault Emin signe, avec Else, un premier long métrage charnel, un cauchemar épidermique en même temps qu’une romance terminale, qui nous enferme dans un amour en décomposition.
Deux amants se barricadent dans leur appartement alors qu’un virus fusionne chairs et matières, jusqu’à ce que ce refuge ne devienne une entité mouvante, vivante, cannibale. Avec Else, Thibault Emin propose un huis clos à la fois sensoriel et organique, où la peur devient terriblement tactile. Le film nous enveloppe, nous étouffe dans une oeuvre saturée de textures visuelles et sonores pour un résultat glauque mais fascinant. Une exploration du vertige amoureux dans ce qu’il a de plus viscéral, une claque inouïe. Tout simplement.

Écrit et réalisé par Thibault Emin, Else est une production franco-belge portée par Les Produits Frais et distribuée chez nous par UFO Distribution. Une proposition de science-fiction radicale, inédite dans le paysage du cinéma francophone où ce petit bijou de genre explose nos considérations et nos attentes. Emin assume pleinement ses influences et cite évidemment The Substance, mais aussi les films de David Cronenberg, tout en revendiquant « le rêve d’un Lynch claquemuré dans une chambre humide ». C’est réussi, et c’est peu de le dire.
The Substance
Ainsi, la narration suit le mouvement d’une spirale, lente et irrésistible. Les murs se mettent à suinter, le sol et le plafond semblent absorber la vie alors que les deux personnages principaux voient leurs corps se confondre avec l’espace qui les entoure. Le seul lien avec le monde extérieur, inexistant, passe par les vibrations et échos de la ventilation. Chaque nouvelle métamorphose, comme un voisin figé dans le ciment, un chien transformé en barricade en bois ou une cuisine qui devient une bouche métaphorique, vient redéfinir les limites de la réalité. L’appartement, d’abord abri, devient un piège inextricable. Et plus le couple cherche à se protéger, plus le lieu les aspire, jusqu’à les engloutir dans une matière translucide et vivante. Finalement, plus que l’aliénation évidente d’un genre codifié, c’est plutôt le métissage et l’altérité par la symbiose que le cinéaste essaye ici de traduire. Alors, sous couvert de syndrome post-covid (alors que le film est en production depuis 14 ans) ou de l’expression du deuil maternel, Thibault Emin réussit ici à créer une tension constante, où chaque recoin du décor se révèle comme une menace latente, aussi discrète que terrifiante, au coeur de l’intime.

En explorant l’infiniment petit et les micro-événements du quotidien, Else fait de chaque détail un point d’ancrage sensoriel. Les plans très rapprochés dévoilent la texture de la peau, l’aspect rugueux d’une roche ou encore les traces de moisissure qui s’étirent lentement. Ces éléments deviennent de véritables expériences visuelles, un espace macroscopique autant que microscopique pour nous offrir un huis clos assourdissant. Un microcosme visuel soutenu par un sound-design ASMR qui amplifie la moindre vibration et permet d’être happé dans cette fascinante imagerie glauque et dérangeante. Mais le film continue ses expériences et s’article en deux parties, avec une première moitié dans une esthétique aux couleurs saturées et nappées d’un voile presque irréel, et une deuxième qui bascule et plonge dans un noir et blanc grésillant, pour accentuer la claustrophobie ambiante. Les effets spéciaux, pour la plupart réalisés physiquement, donnent aux mutations un aspect tangible, palpable, absolument hallucinant. Les matières semblent respirer, se tendre, puis se relâcher comme des muscles vivants. Par moments, quelques séquences plus abstraites surgissent, animées via des IA génératives et un travail 3D remarquable, qui traduisent à merveille cette virée psychédélique hallucinée ainsi que l’effondrement mental des protagonistes.

Alors, Matthieu Sampeur vient donner au personnage de Anx une silhouette vacillante avec une justesse troublante. Son regard, fatigué et inquiet, traduit autant la peur que l’amour et son aspect méthodique, presque autiste, apporte une facette survoltée à cette virée SF malaisante. Face à lui, Edith Proust (de la Comédie Française) impressionne par sa capacité d’adaptation et par son jeu d’un naturel désarçonnant. Antinomiques mais fusionnels, ils se complètent parfaitement et ce alors que le huis clos est total. Seules les voix de leurs voisins, captées à travers les conduits d’aération, viennent ponctuer leur isolement et permettent de développer cette aura claustrophobique. Cette contrainte narrative vient renforcer l’intensité de leur lien et de leur détresse, et finit par transformer la moindre parole, le moindre silence en événement dramatique. Magistral.
Else parvient à transmettre physiquement l’idée de mutation, sans jamais tomber dans la surenchère, via une matière filmique dense et sensorielle qui évoque aussi bien l’amour que la dissolution. Chouette réussite de body horror qui ne verse jamais dans le gore gratuit, voilà une nouvelle preuve que le cinéma de genre francophone a de beaux jours devant lui !
Else est sorti le 28 mai 2025.
Avis
Dans Else, Thibault Emin signe un body-horror sensoriel et organique à la croisée d'un Cronenberg ou d'un Lynch où romance et fusion prennent une nouvelle définition. Une expérience viscérale.