Présenté à la Mostra de Venise, Aucun autre choix est le tout nouveau film de Park Chan-wook (Old Boy, Mademoiselle, Decision to Leave). Ré-adaptant le roman « The Ax », le cinéaste sud-coréen livre un de ses chef-d’œuvres via cette comédie noire à la mise en scène éblouissante et à l’écriture incisive.
Aucun autre choix est évidemment un événement, malgré son inexplicable retour bredouille après la Mostra de Venise 2025. En effet, ce film qui jongle entre polar, thriller, drame et comédie est le nouveau long-métrage de Park Chan-wook. Aux côtés de Bong Joon-ho (Parasite, The Host, Memories of Murder) et Kim Kee-woon (A Bittersweet Life, J’ai rencontré le diable, Cobweb), le réalisateur aura très nettement contribué à l’émergence du cinéma sud-coréen sur la scène internationale.

Joint Security Area, Old Boy, Lady Vengance, Thirst…. une filmographie riche, dominée par le thriller coup-de-poing, mais également des incursions à la TV dans le genre espionnage (The Little Drummer Girl, The Sympathizer). Et après son sublime Mademoiselle en 2016, puis le vénéneux Decision to Leave en 2022, Aucun autre choix (No Other Choice, ou Eojjeolsuga-eobsda en coréen) s’impose comme sa toute première comédie.
Chute libre
La filmographie de Park Chan-wook nous a déjà proposé quelques tentatives de rire (Je suis un cyborg en 2006), mais rien comparable à cette nouvelle production dont le pitch pourra en interpeller certains : Yoo Man-soo (Lee Byung-hun) est un père de famille aimant et heureux. Travaillant en tant qu’employé de bureau au sein d’une entreprise spécialisée dans le papier, ce dernier est licencié après 25 années de bons et loyaux et services.
Un an plus tard, il n’a toujours pas retrouvé de travail stable, les dettes s’accumulent, et sa propre maison va devoir être mise en vente. Refusant cette lente agonie à l’issue inexorable, Man-soo va fomenter un plan de l’ultime chance : convoitant le plus haut poste de Moon Paper, il va devoir éliminer lui-même les trois autres concurrents potentiels pour assurer son avenir, et celui de sa famille.

Aucun autre choix est en effet une adaptation du roman « The Ax » écrit par l’américain Donald E. Westlake en 1997…lui-même déjà transposé au cinéma en 2005 par Costa-Gravras (Le Couperet). Reprenant la teneur noire du matériau originel, Park Chan-wook se réapproprie complètement le récit pour nous livrer son Parasite à lui (troquant la lutte de classes pour une exploration plus horizontale).
Modèle d’écriture
Comprendre qu’il s’agit de son long-métrage le plus accessible et ludique, mais sans jamais proposer une diégèse simpliste pour autant. Dès la première séquence, Park Chan-wook pose admirablement l’unité (et la stabilité) familiale comme le socle qui régie la vie de son protagoniste. Yoo Man-soo est un homme bon et comblé, en totale osmose avec sa femme Lee Mi-ri, avant que la première demi-heure ne nous présente le délitement total.
Obligés de se séparer de leurs chiens, d’abandonner leurs loisirs ou de renoncer à ce que leur fille n’accède à des cours de musique plus onéreux… avec Aucun autre choix, le réalisateur embrasse totalement sa capacité à faire rire jaune en charriant des problématiques universelles. Où la dramaturgie pure tient dans une triste question : est-ce qu’un col bleu peut réellement s’en sortir aujourd’hui ?

De quoi largement contribuer à l’emphase narrative du film, alors que le tragi-comique englobe le déroulé des évènements. La bascule vers le thriller intervient donc avec la mise en place des assassinats, mais contrairement à The Ax, Aucun autre choix n’oublie pas la condition d’everyday man de Yoo Min-soo. Au contraire, la comédie noire intervient dans ces instants où le personnage trébuche littéralement devant la tâche à accomplir.
Une claque absolue de mise en scène
Car si l’intrigue incroyablement bien rythmée est riche en retournements de situation (on le répète, mais l’entrelacement des divers arcs narratifs et ses rebondissements sont un modèle du genre), Park Chan-wook déploie un arsenal de mise en scène complètement vertigineux ! On savait le réalisateur virtuose à plus d’un titre, pourtant Aucun autre choix affiche un niveau filmique renversent : plans subjectifs, contre-plongée impossible dans une bouche ou un verre d’alcool, dutch angles, split diopter, plans-séquences, superpositions d’images…
La caméra se place régulièrement dans des endroits tous plus inédits les uns que les autres, mais dans une clarté de grammaire cinématographique telle que le cerveau du spectateur n’a tout simplement pas le temps d’emmagasiner la maestria de fabrication. Rien d’ostentatoire bien heureusement, tandis que Park Chan-wook se permet de proposer des ruptures de ton parfaitement orchestrées, à l’image d’une hilarante scène de beuverie précédant un meurtre bien viscéral.

On notera par ailleurs une brillante scène slapstick étouffée par la musique intra-diégétique, ou une séquence hallucinante de conversation téléphonique, proposant une scénographie jamais vue dans l’Histoire du cinéma pour illustrer le positionnement géographique et les similitudes idéologiques et émotionnelles de deux personnages. Car si Aucun autre choix est un bijou cinégénique absolu (c’est d’ailleurs la première collaboration cinéma du réalisateur avec le chef opérateur Kim Woo-hyung), il n’oublie jamais la substantifique moelle de son anti-héros.
Aucun autre choix que de faire un chef-d’œuvre
Lee Byung-hun retrouve le réalisateur 20 ans plus tard, et trouve sans nul doute un des plus beaux rôles de sa carrière en livrant une performance à la fois emplie de tendresse et de pathétique (excellente séquence d’entretien où le malaise et la fatalité se conjuguent à partir d’un rayon de soleil). Des éléments parfaitement amenés dans des séquences où Park Chan-wook parvient également à développer les personnages ciblés par Yoo Min-soo, engendrant de ce fait un transfert participant à la triste comédie du métrage.
Et derrière sa dimension thriller et comique qui s’entrelacent à merveille sans jamais s’automutiler l’une de l’autre, Aucun autre choix peut également se targuer de proposer un touchant regard sur la relation de couple, via l’excellente Son Ye-jin en complément de Lee Byung-hun (tout se passe de mot rien qu’avec cette séquence de bal costumé). L’intime et la plus ample en quelque sorte, capable de faire cohabiter un regard inquisiteur vis-à-vis de la sombre transformation du monde du travail (les derniers plans sont plus qu’éloquents), et de la charge personnelle ressentie au niveau familial ou individuel. Chef-d’œuvre !
Aucun autre choix sortira au cinéma le 11 février 2026
avis
Pur chef-d’œuvre de comédie noire, Aucun autre choix est le film le plus accessible et drôle de Park Chan-wook, mais également un de ses plus complexes en terme de pure dramaturgie. Au moyen d'une mise en scène vertigineuse de maestria, le cinéaste coréen dresse un portrait au vitriol du capitalisme ambiant dans cette perle aussi jubilatoire que pathétique. Un grand film, encore un !

