Après la Palme d’Or de Titane, Alpha est le grand retour de Julia Ducournau ! Présenté également en compétition du Festival de Cannes, ce qui s’apparente à son film le lus personnel se révèle aussi dense en idées que cruellement décevant dans son exécution..
Dire qu’Alpha était attendu au tournant est un euphémisme, tant le nom de Julia Ducournau semble désormais un nom pleinement installé. La réalisatrice française de Grave et de Titane aura su imposer son style hybride flirtant constamment avec une body horror psychologique. Et déjà 4 ans après son audacieuse Palme d’Or, la voilà de retour avec un film plus personnel qui se déroule en 1990 au Havre.
Une fin des 80’s néanmoins légèrement uchronique, étant donné que le film nous présente un monde gangrené par une mystérieuse maladie modifiant inexorablement les personnes atteintes en statues de marbre. Un « high-concept » immédiatement introduit en début de film via une séquence en milieu hospitalier surpeuplé malgré le manque de médecins (toute allusion à une possible pandémie récente n’est que fortuite bien entendu!).

Tandis qu’Alpha nous présente une médecin jouée par la toujours excellente Golshifteh Farahani, le récit va avant tout se centrer sur sa fille Alpha (ça ne s’invente pas). Cette ado rebelle de 13 ans va être suspectée de contracter ce fameux virus après s’être fait réaliser un tatouage lors d’une soirée. Et pour ne rien arranger les choses, l’oncle toxicomane Amin (Tahar Rahim) décide de s’incruster au sein de cette famille monoparentale.
Blessures hématologiques
Bref, Alpha affiche d’entrée de jeu un univers bien à lui, pas si éloigné d’un Charles Burns (Black Hole), tout en offrant un regard à hauteur d’ado (comme le court-métrage Junior de Ducournau, partageant certaines similitudes). Projet personnel pour sa réalisatrice, on devine très rapidement que toute cette trame puise dans sa peur d’enfance en lien avec l’explosion du SIDA : sa propagation par le sang, le sexe et la condamnation irréfutable des premiers infectés alors que la médecine n’était pas pourvoyeuse de solution trithérapeutique.
Là encore, Alpha bénéficie d’un vrai mashup créatif puisant dans le vécu de Julia Ducournau : elle-même d’origine kabyle, elle nous propose une scène de repas familial en plein Aïd, essaime un embryon de folklore maghrébin avec l’allégorie du Vent Rouge et d’une grand-mère versée dans le spirituel. Et alors que la dynamique familiale est au centre de l’histoire, quelque chose va rapidement coincer..

Alpha oscillera donc entre divers points de vue (et même 2 timelines) sans être capable d’exploiter ses ingrédients ! Le casting est pourtant réellement investi, en particulier un Tahar Rahim ayant perdu 20 kilos pour son rôle, offrant par instants quelques moments de viscéralité . Mais là où Grave et Titane s’adressaient aussi à nous au niveau des tripes, Alpha se retrouve curieusement chaste dans l’exploitation visuelle de son univers.
Belles idées inexploitées
Julia Ducournau flirte parfois avec ces velléités de body horror (un saignement de plaie, du prurit généralisé, la peau des contaminés devant de plus en plus polie comme du marbre..), mais peu tentée d’exploiter ces idées, le traitement scénaristique et visuel restera au milieu du guêt. Pas d’exploitation de la friabilité de la peau via la progression de la maladie : Ducournau souhaite faire une révérence des victimes du SIDA en les comparants à des gisants de figures saintes, mais à l’écran les FX de MacGuff sont plutôt consensuels et manque de viscéralité.
Un aspect lisse, loin de l’iconographie statuesque voulue…et qui de toute manière ne pèse pas bien lourd dans un traitement scénaristique incomplet. En effet, Alpha se veut plutôt engageant dans son exploration des affres de l’adolescence (la découverte de la sexualité est aussi suggérée en parallèle de la peur d’une contamination), cristallisée par une très bonne séquence aquatique dans la piscine de l’école (le spectre de Carrie n’est pas loin).

Mais patatra, Alpha change ensuite de paradigme à mi-parcours pour tenter d’apporter une empathie au personnage condamné qu’est Amin. Une changement de focus qui reste raccord pour traiter le trio principal et offrir un regard sur le trauma transgénérationnel. Mais outre une écriture incapable d’apporter une congruence à toutes les thématiques affichées, Alpha loupe totalement le coche de l’émotion pure voulue par Ducournau.
Le plus évident tient dans une scène de sevrage du personnage d’Amin, grelottant dans la chambre de l’héroïne, et dont l’étreinte sous couvert d’entraide familiale se foire à exister au-delà de l’illustratif. Pour ne pas aider, la mise en scène parfois surlignée de Ducournau (grosse musique pompière de Jim Williams en bonus) fait office de pur écran là où l’écriture n’apporte jamais le développement nécessaire aux relations centrales du métrage.
Alpha : qui tente rien n’a rien
Les tentatives sont là, et Alpha propose parfois quelques instants musicaux réussis…immédiatement contrebalancés par des scènes tombant à plat (cette séquence de beuverie en boîte de nuit jamais prenante, peu aidée par une photographie terne). Oui, Alpha est en oscillation qualitative constante (on pourrait aussi parler des personnages de Finnegan Oldfield ou Emma Mackey qui se retrouvent complètement évacués du film, ou ces quelques séquences dignes du delirium tremens jamais réexploitées ensuite), avant de révéler sa note d’intention.
Le final d’Alpha est purement métaphorique et inspiré (reprenant cette iconographie d’un vent rouge dont les particules symbolisent le sang des disparus), tentant de raccrocher les wagons narratifs. Mais étant donné l’absence de symbiose totale des constituants préalables du récit, le constat du semi-échec perdure. Semi oui, car Alpha a le mérite de tenter quelque chose, dans un paysage cinématographique apeuré de l’inconnu. Il y a des choses à manger donc, mais la faim n’est pas rassasiée hélas.
Alpha sortira au cinéma le 20 août 2025. Retrouvez tous nos articles du Festival de Cannes ici.
avis
Malgré des idées insérées, la caméra de Julia Ducournau ne parvient pas à donner la viscéralité, l'épaisseur et la congruence thématique nécessaire à la bonne cohésion du récit d'Alpha. En résulte un récit pas assez digéré malgré quelques idées et tronçons narratifs évocateurs où la réalisatrice exorcise ses peurs adolescentes. Reste un super cast... mais qui méritait mieux !