- Nous sommes aujourd’hui à la 11ème édition du Stunfest, peux-tu me décrire les premiers pas du festival ?
À l’époque nous n’avions pas déclaré que c’était un festival. On a trouvé un nom un peu saugrenu, un mot valise entre l’état d’être « stun », donc étourdi dans les jeux de combat et « fest ». On y avait déjà imaginé la possibilité de faire une espèce de pot-pourri de jeux vidéo en mettant des choses plutôt alternatives, inattendues : dans le jeu de combat d’abord, car en 2005 on ne jouait pas forcément aux dernières nouveautés commerciales, puis dans les jeux rétro ou alternatifs.
Depuis nous avons réuni une cinquantaine de joueurs, peut être une centaine de personnes au total sur un week-end à la maison de quartier Latouche à Rennes, sans ambition autre que de faire un tournoi un peu plus costaud que d’habitude, le temps d’un week-end. Nous l’avons refait en 2006 et là on a réuni près de 300 personnes et ainsi de suite. Nous avons doublé la fréquentation chaque année jusque 2007-2008. La courbe de croissance a continué et nous avons continué d’ajouter bien d’autres formes de jeux vidéo que le jeu de combat, mais toujours en voulant faire découvrir des curiosités au public.
- Quelles ont été les étapes importantes dans l’évolution du Stunfest et de 3hitcombo ?
En 2005, c’est drôle, ce n’était pas 3hitcombo qui organisait. Nous étions la branche d’une association parisienne, on portait un autre nom. 3hitcombo a été fondée en 2006, déclarée en préfecture, et cetera, c’est la première étape. Après un an d’existence, nous faisions toujours le Stunfest une fois par an et toujours des tournois réguliers à la maison de quartier avec la volonté de faire perdurer tout ça.
Puis petit à petit, nous nous sommes dit : « tiens on va mettre des jeux musicaux, des shoots, des jeux d’action, des jeux rétro ! » De fil en aiguille, nous avons de plus en plus été sollicités et c’est en 2008 qu’on a commencé à participer à des évènements un peu plus gros, comme Electroni[k]. C’est peut être l’un des premiers signes de la volonté d’apporter le jeu vidéo vers des manifestations culturelles autres que celles uniquement ciblées jeu.
L’étape suivante a été franchie en 2010 avec notre arrivée dans les locaux à Rennes des Ateliers du Vent où l’on s’est installé de manière beaucoup plus fonctionnelle, avec des locaux de stockage, un atelier et des simili-bureaux. En 2012, l’asso bénéficiait d’un DLA (Dispositif local d’accompagnement), il fallut faire le point sur ce que nous étions et ce vers quoi nous tendions. Il y avait déjà des ateliers avec des scolaires, des manifestations culturelles, de l’événementiel… Nous commencions à diffuser du jeu vidéo dans plusieurs lieux et structures et auprès d’un public de plus en plus large.
Le Stunfest était quant à lui sorti de la maison de quartier, passé au Triange, dans le parking souterrain des deux rives puis à l’INSA. Puis le basculement s’est vraiment réalisé lors des 10 ans l’année dernière, avec la sortie du DLA et l’arrivée dans la salle du Liberté en 2014. L’association emploie trois salariés, de nombreux autres techniciens et intervenants professionnels à l’année et sur le festival, mais également un nombre de bénévoles assez conséquent : 300 sur le Stunfest notamment. Nous continuons sur notre lancée avec des éditions qui prennent toujours plus d’ampleur.
- Vous avez depuis l’année dernière opté pour un financement participatif, que vous a-t-il permis de faire ?
L’idée était vraiment de financer auprès de nos partenaires l’arrivée au Liberté qui nous coûtait infiniment plus cher que les autres salles occupées auparavant, où nous étions sur du partenariat. Cette salle et tout ce que ça implique en terme de logistique et de technique a très bien marché sur l’édition 2014. Nous réitérons donc cette année, même si au final, le crowfunding n’était pas spécialement indispensable à la tenue de cette édition.
Nous l’avons mis en avant comme une marque d’indépendance. Le Stunfest appartient aussi aux festivaliers, puisque le financement participatif permet de flécher les contributions : concerts, conférences, jeux de combats, les superplays ou jeux indépendants. Cela nous permet effectivement de trouver des financements, mais également d’avoir une analyse globale de ce que notre public a envie de soutenir.
- Selon toi, quel a été le plus gros défi pour l’édition 2015 ?
Une fois que nous avions choisi de refaire un festival au Liberté, bien que cela ait doublé le budget, nous avons tenté de réitérer l’évènement dans les meilleures conditions. Les financements nous ont beaucoup aidés, mais pas seulement : ils ne font pas tout. Il faut trouver les énergies, notamment auprès des bénévoles, pour remettre la machine en route.
2015 a aussi été une année charnière pour l’association, avec une nouvelle équipe de trois salariés. Les deux personnes qui m’ont rejoint n’avaient pas participé aux éditions précédentes. Il y a donc eu un vrai défi humain pour l’équipe pro, les nombreux bénévoles et les associations qui travaillent avec nous pour arriver à maintenir cette cohésion nécessaire à l’existence du festival.
- Une grosse partie des animations est tenue par des Youtubeurs et streameurs renommés tels que Cœur de Vandal, Bob Lenon ou encore Dorian. Quand et comment s’est fait ce rapprochement ?
Ça a démarré en 2007 et même avant : je pense à Damdam, un pote qui a fait les premières éditions du Stunfest avec nous et qui a fondé une association de jeux musicaux sur Rennes. Les autres, venus plus tard comme Yann, CDV, Realmyopp ou Renan, étaient des potes qu’on a rencontrés un peu avant et pendant le festival. Ils ont bâti les prémisses de ce que sont devenus les superplays, les concerts et les conférences d’aujourd’hui.
Avant, les superplays n’étaient qu’un poste de jeu parmi tant d’autres, avec un joueur fortiche qui se posait dessus et une vingtaine de personnes qui se groupaient derrière pour regarder. Les conférences ont débuté en 2010 sous un bout de tente avec Renan et Yann qui expliquaient les mods de Street Fighter. Elles étaient à peine définies comme telles. Ils ont été un peu comme des précurseurs dans le domaine, des révélateurs de pratiques et le public a accroché à bon nombre d’entre elles. C’est devenu leur boulot. Ils sont désormais des pans à part entière du Stunfest.
- Il y a dans les autres évènements e-sport une ambiance différente, avec les sponsors qui prennent une place importante. Comment gérez-vous les champions mondiaux malgré cette différence ?
Nous essayons d’être francs et clairs avec les partenaires pro et les joueurs sponsorisés en expliquant que c’est un évènement associatif, qui fonctionne avec un financement participatif et un tarif de billetterie que certains peuvent trouver élevé dans le monde du jeu vidéo, où les évènements sont largement sponsorisés par des éditeurs qui achètent des mètres carrés d’espaces publicitaires. Mais du coup ces évènements n’offrent pas une programmation faite par une équipe, juste le résultat d’un marché, d’un appel d’offres et ce n’est pas forcément gage de qualité.
Nous à l’inverse, nous gérons la programmation, nous nous appuyons sur ce côté indépendant. Pour les partenaires, force est de constater que le public répond présent malgré ce choix de modèle économique. Nous sommes désormais le plus gros tournoi d’Europe sur les compétitions, ils ne peuvent pas passer à côté. Ils comprennent donc que non, nous n’allons pas mettre une grosse bannière publicitaire en bas de l’estrade, nous estimons que c’est un espace de spectacle. Quand je vais au théâtre, je n’ai pas envie de voir une bâche d’une banque ou d’un supermarché devant la scène.
- Pour les prochaines éditions, avez-vous déjà des idées ou des projets à mettre en place ?
Ce ne sont clairement pas les idées qui manquent, mais plutôt les moyens opérationnels pour les mettre en œuvre. Nous avançons donc raisonnablement pour ne pas nous faire submerger. Nous avons commencé depuis deux ou trois ans à faire du « hors les murs » la semaine qui précède le Stunfest. C’est une occasion pour nous de montrer des formes de pratique vidéoludique que l’on ne peut pas vraiment faire pendant le festival.
Les formes de pratique vidéoludique ou de formes d’expression autour du jeu vidéo nous offrent de larges pans à explorer et à partager avec le public. Cette année nous avons projeté des films documentaires au Gaumont, il reste encore des champs à explorer du côté de l’exposition, il y a des artistes qui font de l’image, de la vidéo, du son, peut être des concerts, nous en proposons déjà au Liberté, mais pourquoi pas hors les murs. Il y a de l’espace public à investir : le jeu pourrait se répandre dans la ville à l’échelle d’une place, d’une rue.